Traces de 68

Communication au Colloque « Traces de 68″, Londres, 30 septembre 2008.

Impossible de clore un colloque sur Mai 68 en oubliant cette « suite incontestable de Mai 68 » : le Mouvement de Libération des femmes. Et maintenant, quarante ans après, la génération des enfants.

Cette séance consacrée aux « enfants de Mai 68 » puisqu’il est acquis que le MLF est enfant de Mai 68. Est-il comme les enfants de soixante-huitards de Virginie Linhart en mal de père ?

 

-le MLF est le prolongement le + tangible, Beaucoup d’anciens de Mai 68 mettent en avant la transformation positive de la condition des femmes comme l’héritage le + incontestable de Mai 68. En oubliant à quel point ils avaient alors dénigré ces « petites bourgeoises » qui divisaient le combat et la classe ouvrière.

Le + consensuel aussi. Nul ne remet en question cet « héritage ». Même Nicolas Sarkozy n’inclut pas les acquis du féminisme, « l’émancipation des femmes » dans l’héritage détesté qu’il appelle à « liquider ».

 

Mais je voudrais prendre cet hommage unanime à rebrousse-poil et souligner son ambiguïté : la reconnaissance du rôle positif du féminisme s’accompagne d’une forme particulière d’antiféminisme. Comme s’il y avait deux féminismes : le féminisme passé est bon, tandis qu’un féminisme actuel, qui s’obstine à mettre l’accent sur ce qui ne va pas, est vu comme un danger pour des relations harmonieuses entre les sexes.

 

Mon rôle ici (bien connu que les féministes ne sont jamais contentes) : questionner les évidences, mettre en question les idées reçues :

-le MLF est-il la suite logique, évidente du Mouvement de 68 ? Pas si simple !

 

I-A : Le MLF héritier de Mai 68 :

MLF la forme particulière prise par le féminisme dans l’après Mai français. Il y a eu des mouvements féministes dans les années 60 et 70 dans la plupart des pays occidentaux.

Il est typiquement un des « nouveaux mouvements sociaux » (A.Touraine) issus de Mai 68.

Pas étonnant qu’il ait développé + que d’autres mouvements de femmes « l’esprit rebellionnaire et contestataire des Français » (dont parle Michel Winock).

Prolonge conceptions politiques,

Conception large, redéfinition du politique : « Tout est politique ». MLF, plus concret : « Le personnel est aussi politique ».

Radicalisme, utopie et messianisme.

Formes d’organisation et les répertoires d’action.

Caractère festif de la contestation, le style spectaculaire et provocateur. :

 Provocation pousse le « système » à dévoiler sa véritable nature répressive camouflée sous le consentement, aussi passer le mur des médias. C’est aussi par la provocation que le MLF a fait éclater les scandales et les tabous (avortement, viol…). Prolonge la provocation en l’utilisant contre les camarades gauchistes.

 

I-B : C’est par la rupture avec le gauchisme de 68 qu’il s’inscrit dans son prolongement.

1)- La non-mixité :

Les femmes ont décidé de se réunir entre elles, parce que la  parole était plus facile, pour découvrir entre elles, par l’échange d’expérience les racines communes de leur oppression et déterminer les moyens de lutte.

La non-mixité était fondée sur l’idée que la lutte contre l’oppression appartient aux opprimés eux-mêmes, qu’il existe des intérêts communs entre toutes les femmes, qui constituent un groupe social face à celui des hommes.

Mais n’allait pas de soi : Les femmes ont fait sécession. Les femmes ont dû imposer la « non-mixité », contre les « camarades » Le 4 juin 1970, Université de Vincennes, première réunion publique non mixte, troublée par gauchistes, veulent empêcher les femmes de se réunir entre elles, imposer leur vision de la « Révolution » et leur direction politique.

(« Si nous ne vous soutenons pas votre mouvement est voué à l’échec – A bas les souteneurs, on n’est pas en carte, On veut se libérer des libérateurs, vive la libre libération des femmes »

« C’est des mal-baisées, on va les baiser – On ne veut plus se faire baiser, ni bien, ni mal, remettez-là dans votre boite crânienne » L’Idiot Internat. N°8-9, juillet-août 70).

Abreuvées d’injures à connotations sexuelles, le MLF les revendique et les détourne : « Nous sommes toutes des mal-baisées » ; mais « A qui la faute ? ».

Le conflit et les arguments des hommes convainquent de la justesse du choix : « Seule l’opprimée peut analyser et théoriser son oppression et par conséquent choisir les moyens de la lutte ».

 

2)-La critique féministe du gauchisme qui reproduit en son sein ce qu’il dénonce : la hiérarchie, la division sexuelle du travail militant (les hommes au micro, les femmes à la ronéo), la supériorité des spécialistes/ théoriciens (sur ceux/celles qui connaissent l’oppression parce qu’ils/elles la vivent, de la primauté des « avant-gardes ».

Le MLF y oppose l’importance de l’expérience vécue

invente une nouvelle façon de militer : non plus « au service des autres » (le prolétariat ou pour les peuples opprimés), mais à partir de soi, être soi-même l’objet de sa propre lutte. On ne peut pas libérer un/e autre ; c’est à chacun, à chacune de se libérer.

La libération n’est plus un projet, un objectif lointain, mais un processus en œuvre. Pas du tout une ascèse, mais une fête.

Remet en question les moyens classiques de la révolution : le programme, le dogme, le parti, le rôle des « avant-gardes ».

Pas étonnant que le féminisme ait été pour beaucoup de militantes une voie de « sortie ». Permettant de continuer un combat tout en rompant avec sa forme ascétique.

Virginie Linhart cite plusieurs cas de militantes qui : réagissent à l’ascétisme militant par libération sexuelle après la répression sexuelle des années militantes. Et les réactions contrastées des enfants témoins de ce dérèglement.

Moi je voudrais mettre l’accent au contraire sur ce qui distingue le féminisme du militantisme à propos de deux questions : la libération sexuelle d’une part et d’autre part la maternité et le rapport aux enfants.

 

3)- « Le droit de disposer de son corps » et la « libération sexuelle ». Mal-baisées ou puritaines

Le climat de l’après 68, la vie en communauté, la remise en question de la « famille bourgeoise », du couple fermé, la lutte contre la propriété privée et la jalousie.

Le féminisme baigne là dedans, expérimente nouvelles formes de relations, s’attaque à la « famille bourgeoise », au patriarcat, aux tabous sexuels, à la normalité.

Incontournable quand il s’agit de lutte contre « le patriarcat, la normalité sexuelle ».

N’empêche qu’on ne peut pas identifier féminisme et explosion sexuelle. :

Raconter un épisode significatif des contradictions entre hommes et femmes à propos de sexualité. Avec ce mélange particulier de provocation et de ce que certains pourront considérer comme de la pudibonderie.

-Des « mal-baisées » de Vincennes aux « Tuotiennes » :

-Mais ne pas se méprendre sur ce qu’elles conçoivent comme « libération sexuelle ». Le n°12 de Tout ! se veut « a-politique », « au niveau de la vie quotidienne ». Fait exploser questions sexuelles, en particulier homosexualité. (Ce qui vaut à Jean-Paul Sartre, directeur de publication de Tout ! une inculpation pour « Outrage aux bonnes mœurs »).

Reprend les mots d’ordre des féministes : « Notre corps nous appartient », mais vision de la libération sexuelle : se libérer des contraintes, des entraves, transgresser les interdits « jouir sans entraves ».

Pour les féministes : autonomie : « notre corps n’appartient ni au pape, ni à Debré, ni aux publicitaires, ni à notre mari, ni à aucun homme ».

Liberté sexuelle veut dire refus de « tout ce qui conduit la femme à avoir des rapports sexuels sans les désirer « force brute ou chantage affectif, pressions morales ou sociales, « devoir conjugal ». La liberté exclusive des hommes aux dépends des femmes, qui peut aussi conduire au viol.

 

Des féministes de VLR et de Tout ! , en réaction au n°12 décident de mettre au jour l’envers du discours de la libération sexuelle. Pour faire éclater le masque de la tolérance, nécessité d’une provoc : Conte « Vie et mœurs de la peuplade Tuot, ou que vos os pourrissent sous la lune », dénoncent la boulimie érotique des chefs et l’instrumentalisation des femmes. Elles y opposent  l’amour et la tendresse, deux sentiments  qui « comme ils l’ont écrit sur leur pierre n°12 sont des vestiges du monde des ancêtres ».

 

Après la provoc, l’explication : « Votre libération sexuelle n’est pas la nôtre » dénonce « le critère de la libération pour Tout ! la jouissance, le plus de jouir. Pour elles la jouissance n’est pas une valeur dans la possession, le mépris des femmes. Il faut être débarrassées de la dépendance économique, sociale ou affective. Il faut d’abord que les femmes existent pour elles mêmes, qu’elles trouvent « leur totalité d’être humain ». Ce n’est pas une lutte contre les hommes, parce que les hommes ont tout à gagner de cette désoppression, car ils ne sont ni libres, ni heureux dans une sexualité pervertie où ils doivent démontrer leur virilité ; mais il y a une rupture nécessaire avec l’ancien pour que le nouveau puisse émerger.

Cette incompréhension à propos de « quelle libération sexuelle » va se retrouver de façon récurrente. Violente dans campagne contre le viol. Mais aussi Affaire Détective.

Au niveau inter-individuel aussi une des causes de rupture des couples.

Ruptures fréquentes chez parents des enfants de militants qu’a rencontrés Virginie. Il semble que ceux dont les « parents sont restés ensemble » n’ont pas été traumatisés par la liberté sexuelle des adultes

 

4)-La maternité et le rapport aux enfants :

Le thème principal de féminisme des années 70, l’exigence du choix concernant la maternité : « Un enfant si je veux ! Quand je veux ! », « Enfants désirés – enfants aimés », « Nous aurons les enfants que nous voudrons ».

La maternité a d’abord été dénoncée comme un esclavage (les femmes refusaient non seulement maternité non choisie, mais refusaient d’être définies par la maternité (destin, devoir et pouvoir procréatif).

Mais les choses ont changé quand la victoire s’est profilée. Un nouveau discours féministe accompagne un mini baby-boom dans le mouvement des femmes. A partir de 1973-74, le gros ventre se porte bien au Mouvement. La maternité devenait une expérience, un bonheur, un pouvoir.

 

C’est peut-être cela qui différencie les mères féministes des pères militants. Les mères féministes sont présentes, et très responsables par rapport aux enfants (Alexandra). Il y a aussi une responsabilité collective. Pas de grandes rencontres organisées sans prise en charge collective des enfants ou crèches sauvages. Les enfants des féministes, (en tous cas ceux qui sont nés après le début du mouvement), sont des enfants voulus, assumés, proclamés (différence avec les naissances honteuses dans les groupes militants). Surtout les filles, il faut bien le reconnaître, celles qui ont eu des garçons ont eu + de mal, surtout quand ils se faisaient exclure par les petites filles lors de rencontres.

La transmission, le changement des normes éducatives font partie de l’engagement militant.