Quarante ans de féminisme

Article paru dans L’Humanité le 8 Octobre 2008

Après les diverses célébrations des quarante ans de Mai 68, on nous invite ces jours derniers à célébrer les quarante ans du MLF.

Suite logique ! Il y a incontestablement un lien de filiation entre Mai 68 et le MLF.

Mais cet anniversaire-là pose problème.

Problème de date, problème de signature et de définition.

Antoinette Fouque annonce comme fondation du MLF une réunion d’une quinzaine de femmes le 1er octobre 1968. Sans doute cette réunion a-t-elle constitué un des groupes pionniers de ce qui sera le MLF. Mais prétendre que ce groupe aurait « fondé le MLF » c’est d’emblée exclure tous les autres, dont la légitimité n’est pas moindre. Et d’abord celui qui existait dès 1967 sous le nom de FMA (Féminin, Masculin, Avenir), qui a tenu en Mai 68, dans la Sorbonne occupée, le premier grand meeting sur « Les femmes et la Révolution ». Ces deux groupes pionniers se sont rencontrés en 1970 à la suite d’un article publié dans l’Idiot international « Combat pour la libération de la Femme ».

Cette rencontre historique débouche sur une fusion-recomposition. FMA (devenu Féminisme, Marxisme, Action après Mai 68), convaincu par l’autre groupe, devient non mixte et se sépare de ses hommes. Deux tendances se dessinent, qui ne recouvrent pas les groupes initiaux. Monique Wittig et ses cosignataires choisiront avec FMA les actions spectaculaires qui feront connaître le mouvement. Elles deviendront les Féministes révolutionnaires. Antoinette Fouque et Josiane Channel sont à l’origine du groupe Politique et psychanalyse, qui préfère d’autres formes d’actions. D’autres groupes rejoignent cet ensemble comme le groupe femmes de VLR (Vive la Révolution) en août 1970, et de nombreuses femmes venues les unes après les autres d’un peu tous les groupes d’extrême gauche.

Le mouvement reste pendant des années un ensemble fluide, où on peut passer d’un groupe à l’autre, participer à toutes sortes d’initiatives : groupes de parole, groupe de quartiers, actions spectaculaires, réflexion, écriture collective, publication du Torchon brûle. Sans oublier les groupes de province.

La campagne pour l’avortement et la contraception est lancée par la publication dans le Nouvel Observateur de la liste des 343 femmes qui ont eu le courage de signer le manifeste « Je me suis fait avorter ».

Elle se poursuit avec la marche du 21 novembre 1971, les Journées de la Mutualité, en mai 1972, et la création du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception), en 1973, qui gagnera la bataille…

Mais de plus en plus les conflits mettent à mal l’unité d’un mouvement qui ne cesse pourtant de se développer, de se renouveler et de diffuser dans l’ensemble de la société. Nouveaux groupes et nouvelles initiatives, diffusion et récupération, scissions et trahisons, victoires et frustrations : le mouvement vit et se transforme.

Problème de date et de définition : si le MLF est une association loi 1901, Antoinette Fouque a effectivement fondé le MLF, avec deux autres femmes : Marie-Claude Grumbach et Sylvina Boissonas. Mais cela a eu lieu le 26 septembre 1979 et n’a rien à voir avec cette réunion fondatrice dont ce serait le quarantième anniversaire.

Cette association, comme la marque commerciale déposée ensuite à l’Institut de la propriété industrielle et commerciale, n’a joué aucun rôle historique, si ce n’est de porter un rude coup à ce mouvement des femmes qui reposait sur la confiance collective.

Mais si, sous le nom de MLF, on parle d’un mouvement social, surgi dans l’après-Mai 68, en France comme dans le reste du monde occidental, avec ses caractéristiques propres ; alors celui-ci n’a été fondé ni par Antoinette Fouque ni par personne ; c’est un phénomène historique, dont on peut analyser les origines, la sociologie, les particularités. Dont il faut aussi appréhender les effets complexes sur l’évolution de la société.