Intervention au séminaire de Rose-Marie Lagrave

Intervention lors du séminaire Rose-Marie Lagrave, EHESS, janvier 2012.

Je suis venue dans le séminaire de Rose-Marie présenter « Libération des femmes, les années mouvement » (quelle date ? je n’ai pas retrouvé, ni le papier que j’avais fait. Entre temps matériel informatique a tellement changé. Je l’ai sans doute sur une disquette, mais plus de lecteur de disquette).

J’aurais vraiment aimé le retrouver. J’y ai rencontré toute une génération de jeunes chercheuses féministes. De cette rencontre je garde un souvenir très fort. D’un échange très intéressant et aussi d’un désaccord final. Et je suis très intéressée à voir ce qu’il en est avec vous.

 

Parler des deux livres. Donc de ce qui les distingue. Et des 40 ans du MLF.

1993-2011, 18 ans de distance, contextes différents.

 

1997 : les années mouvement (soit les années 1970), terminées depuis près de 20 ans.

-Enjeu de mémoire : raconter le MLF, restituer l’ambiance (surtout débuts), resituer les problèmes soulevés dans leur contexte (et aussi dans l’histoire qu’on ne connaissait pas alors), avec aussi les contradictions.

-Enjeu de recherche : constituer le MLF en objet d’études, une position qui cumule connaissance directe et distance critique. Comme deux moments d’une démarche de recherche : hypothèses et vérifications.

Soumettre les axiomes du MLF à vérification sociologique.

-Ex : le MLF c’est toutes les femmes (le sens politique de l’affirmation) / enquête psychosociologique (qui sont les actrices du MLF ?)

-Discours de rupture révolutionnaire (Libération des femmes, année zéro) / Choix de vie (Ruptures, stratégie de déplacement et de diffèrement). Mais aussi le féminisme dans l’histoire.

-Effets sociaux ; Comment le mouvement féministe s’inscrit dans l’histoire et la culture française (la notion d’exception française appliquée au féminisme, la mise en relation avec changements socio-économiques : la montée des couches moyennes salariées, le libéralisme culturel), l’influence du féminisme sur la société dans plusieurs domaines (travail, sexualité, RRS). Mais aussi le mouvement comme analyseur de la société (à partir de cet exemple, comprendre comment bouge la société : contestation, récupération, adaptation à un nouveau niveau d’équilibre : la dialectique révolution/réforme).

 

A l’époque, vu comme un cycle terminé (en distinguant féminisme (histoire longue) et MLF « la forme particulière prise par le féminisme dans le contexte politique de l’après-Mai 68 », dont on peut analyser les effets. Je disais bien que l’histoire n’était pas finie, « A regarder l’histoire avec plus de recul, on sait bien qu’elle n’est pas achevée. Elle ne se répète pas. Chaque génération définit ses enjeux et ses formes d’intervention, en rupture et en continuité avec les précédentes. Elle ne prend guère en considération l’expérience de celles-ci » ; mais je n’imaginais pas un réveil si rapide.

 

Ce travail sur le MLF a été la base à partir de laquelle je poursuivais la réflexion féministe, au fur et à mesure des événements et des problèmes (l’institutionnalisation des études féministes, comparaisons internationales pour divers colloques internationaux, l’égalité professionnelle, la parité, la question du genre, la question du voile et la laïcité, retours sur Simone de Beauvoir, les politiques publiques d’égalité, et puis quels enjeux pour un nouveau féminisme (ce qu’on m’a demandé de + en +, Cités, Beaubourg, Boston… Ce qui a été l’essentiel de la novation dans Libération des femmes, quarante ans de mouvement.

 

2011 : quarante ans de mouvement Le contexte (était programmé pour 2010, célébration des 40 ans, bien sûr.

-Depuis des années, « Les années mouvement » était épuisé, et je réclamais en vain la réédition, en arguant du changement de contexte. J’ai eu un contrat pour publication d’un nouveau livre en 2010. Mais j’ai été trop entraînée dans les mobilisations (et publications) collectives de 2010 pour réussir à terminer à la date prévue).

 

-Changement Le MLF reste un moment particulier, un moment fort dans l’histoire. Mais réintégré dans une histoire longue (entre les années mouvement et le renouveau des années 95-2000-2010. A la fois le ressac et le fil qui relie une époque à l’autre (la vieille taupe de Marx). Ce que j’avais eu tendance à sous-estimer et qui permet de poser le changement de perspectives (la permanence du féminisme militant sur d’autres questions, le féminisme institutionnalisé). Et puis le renouveau et les controverses.

 

Les 40 ans du MLF

L’initiative de Monique Dental « Le Mai des féministes », son succès, ses polémiques. Notre décision de célébrer Les 40 ans du MLF. Difficultés de démarrage. Réaction à prétention Antoinette Fouque « Génération MLF » qui se dit co-fondatrice et invente une histoire à sa sauce. Donc des articles dans Libé, et l’Huma (prolongé par Caroline Fourest dans le Monde) ; un dossier de ProChoix « Le mythe des origines ».

 

Thèmes et enjeux :

La question de l’identité : Qu’est-ce qu’une femme ?

Question fondamentale du féminisme. Entre universalisme et particularisme.

-D’abord posée en terme de –appartenance au genre humain (qui confère Droits de l’homme) ou « nature féminine » distincte qui donne des devoirs 1789-1791, 1825, 1848, troisième République.

-Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient » : Met l’accent sur la Construction sociale et sur la dévalorisation d’un féminin (intermédiaire entre le mâle et le castrat). Projet d’échapper à l’immanence en s’identifiant aux hommes.

— le MLF : Les deux bouts : être une femme et être un être humain. « Un homme sur deux est une femme », ne veut pas dire que les femmes sont des hommes comme les autres. (devenues femmes, faites différentes par conditionnement social, par destin programmé, par situation d’oppression). Différence avec S de Beauvoir, lutte collective, pas nécessaire de s’identifier aux hommes pour s’émanciper. Quête d’identité, individuelle et collective. Chacune cherche son identité personnelle en inventant collectivement une nouvelle définition.

L’utopie de la Libération. Le double refus :

-Refus d’une définition par les hommes : « Les femmes ont toujours été définies par les hommes, relativement à eux ». Refus définition traditionnelle : (Ni par ses hormones, -Ni définie par son rôle social ou par son rapport avec un homme ou avec des enfants (épouse, mère, ménagère, femme fatale…). La liberté d’avoir ou non des enfants : on peut être femme sans être mère. Dénonciation du mariage, de l’hétérosexualité normative, de la domination dans la sexualité, -Refusant stéréotypes et images dévalorisante (maman-putain). La lutte collective permettait d’invalider les stéréotypes dévalorisants.

-Mais aussi refus du modèle masculin comme seul modèle de l’humain (faire comme les hommes, s’identifier à eux et partager leur mépris à l’égard des femmes ou entrer en rivalité avec eux sur leur terrain, partager leurs valeurs : rationalité, efficacité, pouvoir, compétition).

Ne voulait pas l’égalité (être comme eux), mais la Libération (être soi). Projet exaltant la recherche de chacune de son identité coïncidait avec la lutte collective pour changer la vie.

Projet révolutionnaire : abolition du patriarcat, un système qui conditionne et dévalorise les femmes ; abolition de la bi-polarisation des rôles sexuels promettait la libération des hommes comme des femmes (« En se libérant les femmes libèrent l’humanité toute entière ».

 

Tension riche entre ces deux pôles, contradiction dynamique. Mais éclatement en deux voies (qui pour moi sont deux impasses) :

-d’un côté définition sociologique, met l’accent sur le conditionnement social (diff sexes pur produit de l’oppression)

-de l’autre : revalorisation du féminin (pas dans définition traditionnelle de la féminité, faire advenir le féminin, nié, censuré, dévalorisé, avec nouvelle lecture de la psychanalyse). Oubliant les conditions sociales imposées. Au bout du compte recherche de la spécificité ramène au point de départ, définition par maternité : « ce qui fait la force, la jouissance des femmes, produire de la vie »). Recherche frénétique de la spécificité féminine.

 

Etudes féministes développées à la suite du MLF, (plusieurs sources, pluridisciplinaire : GEF, CLEF, GRIEF Toulouse (+ psy), NQF, Université des femmes, Séminaire Limites frontières (H.Rouch, sciences dures). Pas seulement conception Questions féministes. Et Nouvelles questions féministes.  C’est ce que j’ai voulu montrer au moment du colloque de Toulouse 1982 en publiant dans la REF une critique historico-théorique « Féminisme, Matérialisme, Radicalisme ». Important pour moi aller contre représentation du féminisme comme idéologie (doctrine homogène et normative, imposerait un point de vue féministe « comme il y eut jadis une « science prolétarienne » ». Donc j’avais clairement fait une analyse critique

-des principes présentés comme « préalables à toute lutte féministe : l’appartenance de toutes les femmes à une même classe sociale et la rupture avec l’idéologie naturaliste ». De l’analyse féminisme radicale fondée sur les principes marxistes « l’ennemi principal à la classe des femmes ». Comme la plupart des féministes, pour des raisons différentes, j’étais réticente à la notion de « classe des femmes », que je trouvais à la fois réducteur (économiste) et « les schémas marxistes inadéquats à la question des femmes ». « Les femmes sont-elles une classe ? » me suis-je ainsi demandée dans la Revue d’en face[1], pour souligner les « différences entre la situation des femmes et celle des prolétaires », et le caractère à la fois réducteur et dangereux de l’assimilation des unes aux autres, du patriarcat restreint au « mode de production domestique » et d’une stratégie de type bolchevique dont le lesbianisme radical était le prolongement logique. « Mettre l’accent sur le rapport hiérarchique entre les sexes n’implique pas d’assimiler les femmes au prolétariat en gommant la spécificité de leur exploitation ». Parallélisme entre capitalisme et patriarcat passe à côté de l’essentiel. Patriarcat pas principalement un mode de production organisant l’exploitation domestique des femmes. (Rapport de subalternité à tous niveaux de la société : sexuel, social, culturel, individuel et collectif). C’est pourquoi il ne suffit pas de se soustraire individuellement (comme lesbiennes radicales) pour échapper au patriarcat. Ne pas réduire le patriarcat à sa dimension économique (appropriation des femmes pour appropriation des enfants), mais Féministes radicales ont tellement peur de « l’idéologie naturalistes) qu’elles ne veulent pas prendre en considération l’enjeu de la maternité.

-Je critiquais aussi (comme la plupart des féministes, issues du mouvement de Mai 68, qui s’étaient rebellées contre la toute puissance d’une théorie qui délégitimait leur combat, pas seulement les féministes « lutte des classes »   l’analyse féministe radicale qui négligeait d’articuler deux systèmes et deux oppressions.  Pour moi le féminisme affirme la communauté d’intérêt entre les femmes, par-dessus l’opposition des classes. Thèmes féministes repris (grévistes de Troyes, de Lip ou de la CIP prennent conscience de leur oppression de sexe, contestent division sexuelle du travail et organisation syndicale hiérarchique).

[1] Françoise Picq, « Féminisme, matérialisme, radicalisme », La Revue d’en face, n°13, hiver 83.