Liberté Sexualités Féminisme

Note de lecture sur Liberté Sexualités Féminisme, 50 ans de combat du Planning pour les droits des femmes, Editions La Découverte .

A l’occasion du cinquantième anniversaire de ce qui allait devenir le Mouvement français pour le Planning familial, et du colloque célébrant celui-là[i], est publié aux Editions La Découverte Liberté Sexualités Féminisme, 50 ans de combat du Planning pour les droits des femmes. Conçu et rédigé par Isabelle Friedmann et préfacé par Janine Mossuz-Lavau, l’ouvrage a pour auteur le Mouvement français pour le planning familial (MFPF). C’est dire que ces 50 années seront regardées à partir de ce qu’est devenu le Planning, même si l’enquête a été sérieuse, fondée sur de très nombreux entretiens (59) ainsi que sur les publications diverses et documents d’archives.

Le point de départ du combat nécessaire se situe en amont de cette histoire : il  faut bien évoquer les premiers militants de la maternité libre : Paul Robin, Eugène Humbert et le mouvement néo-malthusien, soutenu par les féministes radicales du début du XX° siècle, qui comme Nelly Roussel  tenaient la liberté procréative pour la plus décisive de toutes. Il faut bien exposer la loi de 1920 et la répression inédite que la plupart des féministes n’avaient pas vu venir. Au lendemain de la grande guerre, la procréation était devenue un enjeu politique. Aux  femmes, soumises au double joug des  tribunaux et de l’Eglise catholique, il ne reste alors que le « devoir d’enfanter » sans la moindre marge de liberté. L’Eglise anglicane, elle, admet le Birth control depuis 1930.

L’engagement c’est d’abord celui de Marie-André Weill-Hallé, gynécologue catholique bouleversée par la détresse des femmes, qui créé en 1956 l’association Maternité heureuse, avec une vingtaine de femmes respectables, mères de famille, juristes ou médecins. Dans l’objectif de prévenir le recours à l’avortement par le développement de la contraception, elles se consacrent à l’information et à la sensibilisation du corps médical. L’association est bientôt rejointe par des militants qui ne craignent pas de franchir le pas de l’illégalité, comme le docteur Henri Fabre qui ouvre à Grenoble le premier lieu d’accueil du public en 1961. Pour tourner la loi de 1920, interdisant toute « propagande » anticonceptionnelle, le Planning familial est une association qui ne fournit d’informations ou de moyens contraceptifs qu’à ses membres, et ceux-ci sont devenus 95.000 en 1967.

Malgré l’opposition farouche de l’Eglise catholique, du Conseil de l’Ordre des médecins et du PCF, le Planning familial parvient à créer un état de fait, et la contraception s’invite dans la campagne présidentielle de 1965, où François Mitterrand, le premier, se prononce pour l’abrogation de la loi de 1920. C’est ensuite Lucien Neuwirth, député gaulliste, qui convainc le Général et qui mène le combat au Parlement pour faire adopter la loi qui porte son nom. Une loi révolutionnaire, mais qui enferme la liberté de la contraception dans un tel carcan et qui rencontrera tant de résistances de la part des pouvoirs publics que le Planning familial se divisera à son sujet. Pour Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé le combat est terminé ; elle démissionne de la présidence, d’autant qu’elle apprécie peu l’évolution militante du mouvement qu’elle a créé et l’émergence du débat sur l’avortement, elle pour qui la contraception devait remplacer l’avortement.  Mais un autre clivage oppose les médecins, qui dirigent le MFPF aux « assistantes, conseillères, animatrices », qui reçoivent  les femmes et se radicalisent à leur écoute.

La deuxième étape dans l’histoire du Planning (entre 1967, Loi Neuwirth et 1974 Loi Veil) se déroule dans un contexte politique marqué par Mai 68 et le surgissement du mouvement féministe. Une nouvelle génération de militantes prend la tête du combat pour la liberté de la procréation et en redéfinit les termes et les modalités : liberté de l’avortement autant que de la contraception au nom de la « libre disposition de son corps », manifestations de rue, utilisation provocatrice des media pour imposer ses thèmes sur la scène publique, contestation globale du système… C’est la publication dans  le Nouvel Observateur du Manifeste des « 343 » (l’auteure reprend sans hésiter l’appellation « Manifeste de 343 salopes » qu’elle dit revendiquée par les signataires «par esprit de provocation » ; c’est en fait Charlie hebdo qui a forgé cette expression, reprise depuis par tous les médias, mais qui est  loin de plaire à toutes les signataires). Le Procès de Bobigny, les avortements par la méthode Karman, le Manifeste des 331 médecins, la création du MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception)…

Des animatrices du Planning rejoignent individuellement les manifestations du MLF, et Simone Iff, qui dirige alors l’association parisienne, est contactée par des médecins du GIS (Groupe information santé) à l’origine du MLAC. Elle en sera vice-présidente, de même que Jeannette Laot de la CFDT (citons tout de même Monique Antoine présidente-fondatrice du MLAC dont le témoignage fait défaut ici[ii]). Bien d’autres animatrices ou  médecins du Planning s’engagent avec bonheur dans ce mouvement extraordinaire qu’a été le MLAC « une alchimie inédite, un mouvement qu’on ne peut comparer à aucun autre (p.111)» qui fédère toutes sortes d’associations, partis, syndicats, groupes d’extrême gauche. Elles/ils goutent le frisson de l’illégalité avec la fièvre de la victoire qui s’annonce. Parallèlement Simone Iff et les animatrices de base mènent le combat au sein du MFPF et prennent le pouvoir sur les médecins au Congrès de 1973.

Le vote de la loi Veil ouvre  une nouvelle étape où le Planning doit trouver sa place. Il crée des centre d’orthogénie qui doivent être tout à la fois « des relais d’éducation populaire, des lieux de rencontre et de débat, des lieux où sont donc traités, sans les séparer artificiellement, tous les problèmes concernant la sexualité : contraception, avortement, stérilité, frigidité, maternité, éducation sexuelle, conseil, information etc. p.151 ». L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 offre de nouvelles opportunités, mais plonge le MFPF dans une crise existentielle. C’est qu’il n’est pas si facile d’être un mouvement proche du pouvoir quand on a une culture d’opposition. Simone Iff est entrée au cabinet d’Yvette Roudy, mais le Planning renâcle. De crainte d’être instrumentalisé, il refuse la reconnaissance de l’utilité publique qu’Yvette Roudy avait eu tant de mal à obtenir, et qui aurait garanti la pérennité de ses financements lorsque la droite reviendrait au pouvoir.

Le MFPF a eu bien du mal à passer « la crise de la trentaine », ayant rempli sa tâche historique, écartelé entre ses tendances réformiste et radicale. Tout est matière à divisions : se déclarer formellement « féministe », réagir à l’épidémie de sida, prendre positions sur des questions émergeantes, investir de nouveaux combats (la procréation médicalement assistée, la lutte contre les violences faites aux femmes : viols, incestes, mariages forcés).

Par une action déterminée et novatrice, un petit groupe de militantes a pourtant réussi la réforme de l’organisation et le redémarrage du Mouvement au-delà de son histoire glorieuse et mythique. Le Planning est devenu un Mouvement d’éducation populaire, qui intervient dans les écoles, reçoit chaque année quelque 500.000 personnes, assure une formation à l’éducation sexuelle, tant pour ses membres que pour des professionnels…

Le Planning a réussi sa reconversion. Confronté aux nouveaux défis du XXI° siècle, il a élargi son combat à tous les aspects de la lutte contre le sexisme et les stéréotypes par une  approche en termes d’égalité entre les femmes et les hommes. Face au retour à l’ordre moral et à la résurgence d’extrémismes religieux, au réveil des opposants à l’avortement, il a participé à la création de la CADAC (coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception). Au niveau international, il contribue à la résistance  du camp féministe et progressiste contre la réaction menée par le bloc des pays islamistes, du Vatican et des Etats-Unis contre les droits des femmes. Au plan national il a pris parti pour l’interdiction du voile à l’école, y voyant un « signe ostensible de soumission des femmes et de stigmatisation de celles qui refusent de porter le voile p. 246 ».

C’est une superbe histoire que celle qu’on peut lire dans cet ouvrage. Cinquante ans qui ont changé la vie des femmes et le rôle magistral qu’y a joué un Mouvement lui-même profondément bouleversé par ces changements. Premier sur le front du combat pour le planning des naissances, dans une conception limitée, il a été emporté par la vague féministe et radicale du droit à l’avortement et la remise en question de l’ensemble des rapports sociaux. Mais il a su conserver l’énergie de celle-ci après le reflux pour l’approfondir et résister à la réaction. Dans chacune des questions qui divisent le féminisme du temps de la controverse, il a su dégager une position éclairée par l’impératif premier des droits des femmes, de leur liberté, de l’égalité entre les femmes et les hommes.

 

Reconstruite essentiellement à partir de témoignages des acteurs, cette histoire pèche sans doute dans l’évaluation du rôle de chacun. Elle ne rend pas également justice à tous les acteurs d’un mouvement plus vaste, dont le Planning a été partie prenante, qui a révolutionné la vie des femmes. Cette histoire des 50 ans de combat du planning pour les droits des femmes  apporte un panorama et des informations fort utiles pour un grand public (et de jeunes générations) qui  ignorent ce combat pour la liberté de la maternité. Pour une analyse plus précise sur l’histoire des années décisives, sur le contexte politique, sur les différents groupes et mouvements, sur les réformes et évolutions, des compléments bibliographiques sont sans doute nécessaires[iii]. Mais en ce qui concerne le Planning lui-même, c’est pour les historien/nes et chercheur/es un apport essentiel.

[i] Actes du colloque à paraître, (s/s dir.) Bard Christine Bard et Mossuz-Lavau Janine, collection « Archives du féminisme » aux Presses Universitaires de Rennes.

[ii]  Antoine Monique, « Une histoire du MLAC », in Le féminisme et ses enjeux, vingt-sept femmes parlent, Centre fédéral FEN, édilig, 1988.

[iii] Ferrand-Picard Michèle « Médicalisation et contrôle social », Revue française de sociologie, juillet-septembre 1982 ; Mossuz-Lavau Janine, Les lois de l’amour, Les politiques de la sexualité en France (1950-1990), Payot 1991) ; Picq Françoise, Libération des femmes, les années mouvement, Seuil 1993.