L’égalité femme/homme : un défi international

3ème université du Mouvement Ni putes, ni soumises, 30 septembre 2005

Je voudrais introduire la question de l’égalité entre les femmes et les hommes comme défi international, en revenant à l’histoire de ce principe et de sa reconnaissance par les institutions internationales.

L’idée de l’=F/H est née à un certain moment de l’histoire, dans un certain contexte « occidental », qu’elle a été portée d’abord par certaines femmes (blanches, éduquées, privilégiées), + par quelques hommes.

Si cette idée de l=F/H a pu s’exprimer, c’est qu’elle était en cohérence avec à une certaine conception philosophique (Les Lumières : avec son individualisme, la prééminence de la Raison et du Progrès, l’autonomisation du politique par rapport à la religion (qui préfigure la laïcité), la démocratie.

Cependant la prise en compte de l’égalité F/H n’allait pas de soi. Il a fallu un long combat de plusieurs générations pour que l’= F/H soit acceptée comme principe. Il en faudra encore beaucoup pour qu’elle entre réellement dans les faits.

=F/H (et le féminisme qui l’a revendiquée) est-elle une conception universelle ou au contraire une conception particulière, contestable parce qu’elle accompagne une domination économique-culturelle-idéologique. Ce qui expliquerait aussi son rejet par une partie du monde –au nom de la tradition, de la religion, mais aussi de la lutte contre l’impérialisme

En fait, l’égalité F/H est le résultat des deux grandes vagues féministes, assez différentes dans leurs stratégies, et leurs objectifs, mais dont les résultats se sont cumulés.

I –La première vague féministe.

C’est dans la Révolution de 1789, en France que le féminisme trouve son origine comme protestation (au nom des Droits de l’Homme) contre l’exclusion des femmes de ces droits. L’=F/H n’a pas fait partie d’emblée du modèle occidental des Droits de l’homme. La résistance a été farouche et les femmes se sont battues pendant des générations, mais elles pouvaient s’appuyer sur une idéologie qui se proclamait universelle

Il y a eu ensuite un mouvement international, développé dans différents pays occidentaux tout au long du XIX° et de la première moitié du XX° siècle, avec ses spécificités selon les histoires nationales. L’objectif de la première vague féministe c’est l’égalité des droits entre les femmes et les hommes (dont le suffrage). La Déclaration universelle des Droits humains est sa victoire.

L’=F/H a été inscrite au rang des grands principes seulement après la II°Guerre mondiale : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine » (comme dit le Préambule de la Constitution de 1946) Il avait fallu la barbarie nazie pour qu’on revienne aux grands principes de 1789. Mais si l’= F/H y a été incluse, c’est parce que des femmes se battaient pour cela depuis 1789, de même que le peuple luttait pour les droits économiques et sociaux, qui ont été reconnus en même temps parmi les droits «  particulièrement nécessaire à notre temps » (dans la Constitution française, mais aussi en Italie, en Allemagne et surtout dans la Déclaration universelle des Droits humains, (1948)

C’est aussi parce que certaines femmes se sont organisées de façon internationale, convaincues que les constructions internationales étaient le lieu où il fallait peser, pour obtenir des droits qui leur étaient refusés dans leurs propres pays.

Le mouvement féministe international a tenu de grands Congrès où se rencontraient des femmes de tous les pays, forgé des réseaux féministes transnationaux. (34 congrès internationaux entre 1878 et 1914). On peut parler de véritables Internationales féministes.

1888 Le Conseil international des Femmes est créé à Washington

1904 L’Alliance internationale du Suffrage féminin (plus radicale et dynamique)

1915 Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (plus lié au mouvement socialiste)

Ces organisations font du lobbying auprès des institutions internationales : informel auprès de la SDN (Société des Nations)

(Le CIF propose la collaboration des femmes au président de l’Assemblée constitutive de la SDN). Est vite reconnu comme expert)

  • puis lobbying institutionnalisé auprès de l’ONU (organisation des Nations Unies), qui prévoit la consultation d’ONG (Organisations non-gouvernementales)
  • (Le Conseil International des Femmes obtient un Statut consultatif auprès de l’ONU).

La reconnaissance de l’égalité des femmes et des hommes par l’ONU :

  • Charte de San Francisco (26 mai 1945) interdiction de toute discrimination basée sur le sexe parmi droits fondamentaux.

1946 création de la Commission de la Condition féminine.

Eleanor Roosevelt préside la Commission des Droits humains, qui met au point la Déclaration universelle des Droits humains.

La DUDH reprend les idées de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 ; mais elle élargit le legs de la Révolution française aux droits économiques et sociaux et à l’= F/H : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit  (sans distinction aucune, notamment de sexe) »

Elle affirme aussi des « Droits égaux en regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution».

Par le lobbying auprès des institutions internationales, des féministes ont réussi à faire passer dans de Déclarations, Chartes, Conventions, de nombreuses idées, en faveur des droits des femmes et des enfants. Elles ont obtenu des succès sur la lutte contre l’excision (1952), pour des efforts en faveur de l’éducation des femmes (1955), la convention pour la Répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui (1949), la convention internationale sur les Droits politiques des femmes (1952), CEDAW Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1975). (qui est aujourd’hui un instrument qui doit être utilisé).

Ce féminisme international, a été l’œuvre de certaines femmes blanches, américaines et européennes, de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie qui pouvaient financer leur action (voyages, campagnes…), et aussi des femmes instruites qui ont pu se faire reconnaître comme expertes par les organisations internationales. (tout le féminisme de la première vague n’appartient à ces milieux très privilégiés).

Elles étaient mues par un Idéal internationaliste, par l’utopie d’une solidarité entre toutes les femmes ; elles pensaient que seules les femmes pourront « promouvoir un monde où règne plus de justice et de bonté » ;  mais elles avaient une conception quelque peu  « paternaliste » de femmes occidentales qui se pensaient éclairées, en avance sur leurs sœurs des autres pays auxquelles elles voulaient apporter la civilisation. La société occidentale était pour elles référence universelle et modèle d’un monde meilleur[1])

Il y a eu des mouvements féministes en dehors de l’aire occidentale au début du XX°siècle ; mais ils étaient le fait d’une « élite féminine tournée vers la modernité occidentale », très liés avec les politiques de laïcisation de ces Etats : 1909 pendant la Révolution constitutionnelle en Iran, la Tunisie de Bourguiba (réformes du Code civil, décrété par l’Etat contre les forces religieuses), la Turquie d’Ataturk.

On sait l’importance de la « laïcité » proclamée dans ces pays, et notamment de l’interdiction du voile. (Plus stricte que par la loi actuelle en France, puisque le voile est interdit dans les universités de Tunisie ou de Turquie, ce qui n’est pas le cas en France).

On peut donc se poser la question : « Les féminismes occidentaux sont-ils exportables, dès lors qu’ils sont nourris de l’universalisme de 1789 et qu’ils sont partie prenante de l’évolution historique des régimes représentatifs libéraux vers la « démocratie de masse » ? ou faut-il admettre que chaque culture est amenée à réinventer ses propres moyens de libération ? » [2]

La deuxième vague féministe

Un nouveau mouvement féministe s’est développé, dans les années 1960 -1970). C’est un phénomène international, en ce qu’il se produit dans l’ensemble des pays développés, mais qui ne s’est pas organisé de façon internationale comme le premier. C’est un mouvement contestataire, lié au mouvement de la jeunesse des années 1968, à la mobilisation contre la guerre du Viet-nam et l’impérialisme américain, au tiers-mondisme. Il est beaucoup plus divers dans son recrutement que celui du début du siècle et n’a pas du tout le même rapport aux institutions. Il n’a pas fait de lobbying à l’égard des institutions internationales, mais il a dénoncé leur frilosité, leur respectabilité, et le caractère formel des droits proclamés. (Manif 8 mars 1975 à Paris contre l’année internationale de la femme, Contre sommet à Genève).

Au cours de la période où l’ONU a décrété la « décennie de la femme » (1975-1985) et organisé 4 conférences mondiales (1975 Mexico, 1980 Copenhague, 1985 Nairobi, 1995 Pékin), les points de vue se sont rapprochés. Des Forum des ONG (Organisations non gouvernementales) précédent les conférences officielles, et celles-ci « récupèrent » certaines des idées venues de celles-la. En particulier le mouvement féministe de la deuxième vague a eu une influence dans la reconnaissance d’une nouvelle génération de droits humains (droits reproductifs, droit au contrôle de la sexualité).

Les conférences de l’ONU ont aussi favorisé la renaissance de mouvements féministes dans d’autres pays :

-Par exemple en Inde en 1974 : le rapport du Comité sur le Statut des Femmes, qui a été fait pour préparer la conférence de Mexico a montré que la condition des femmes avait régressé depuis l’indépendance. Il a été le texte fondateur de la deuxième vague féministe).

-En Amérique latine, l’ONU et ses agences fournissent des aides essentielles aux féministes (en finançant des ONG, des recherches sur les femmes, des programmes d’empowerment.

Même si des mouvements de femmes refusent souvent l’étiquette de « féministe », comme marqué par l’impérialisme.

Parce que le féminisme est né dans les sociétés occidentales, peut-on en conclure que c’est un phénomène occidental, et qu’il a partie lié à la domination internationale de l’occident ? Je ne le pense pas

Mais la situation de régression que nous connaissons depuis une vingtaine d’années, au plan national comme au plan international complique la question de l’égalité des femmes et des hommes et des alliances que peuvent conclure les féministes.

Au plan mondial, la domination sans partage de l’Occident dans ce qu’il a de pire (la domination de l’argent, du profit, des rapports de forces, le règne de la marchandise, la déshumanisation). Les guerres et menaces de guerre jouent contre l’évolution des sociétés et favorisent le repli des politiques. On peut ajouter les effets pervers de la libéralisation des mœurs, dont se sert l’industrie du sexe : la pornographie, la prostitution, ou l’utilisation de la femme-objet dans la publicité. En réaction, des barrières intellectuelles et conceptuelles rigides sont érigées entre l’Occident et le reste du monde.

Dans ce contexte, le statut juridique des femmes est devenu un enjeu politique majeur. La volonté de résister à l’imposition d’un modèle « occidental » explique en partie le refus du principe de l’égalité, même si les femmes ont participé aux luttes de libération nationales (comme en Algérie). Dans certains pays, les acquis des femmes du début du XX°siècle sont devenus suspects de colonialisme. Des « progrès » qui avaient été imposés de façon non-démocratique, ont provoqué des réactions inverses (comme le voile, interdit en Iran sous le Shah, imposé par la révolution khomeyniste 1979).

Les forces religieuses font du statut des femmes un des éléments -clé de leur programme et les sociétés en font le symbole de la résistance au colonialisme et à l’impérialisme.

Sans doute la tradition, la religion, le rejet du  modèle occidental sont-ils largement des prétextes à une volonté de maintien de la domination sur les femmes ; mais les femmes trouvent peu d’alliés quand elles s’opposent aux lectures réactionnaires des textes religieux.

Si le voile est le symbole du refus du modèle occidental dans certains pays musulmans, il l’est aussi pour certaines populations immigrées dans les pays occidentaux, en particulier en France où il entre en conflit avec la laïcité. Il est clair que la République n’a pas tenu ses promesses d’intégration et de marche vers l’égalité. L’existence des ghettos est en contradiction absolue avec modèle républicain. Les discriminations, notamment à l’égard des jeunes issus de l’immigration, sont scandaleuses, et doivent être combattues. Mais cela doit être un combat pour la République, pas contre la République. Cela ne peut pas justifier qu’on considère les lois de la République, comme des lois d’exception et d’oppression, au nom de traditions réactionnaires ou d’un dogme religieux réinventé.

Il est caractéristique que l’égalité F/H soit totalement absente des revendications avancées au nom de l’égalité, par exemple dans l’appel des « Indigènes de la République ».

Pour conclure, je voudrais faire écho à  Taslima Nasreen, qui dénonçait une nouvelle idéologie politique qui considère que la ligne de fracture essentielle passe entre « impérialisme » et « anti-impérialisme » et qui admet des pratiques sexistes au nom du « relativisme culturel ». Il faut affirmer qu’au contraire, c’est la question des droits des femmes et de l’égalité F/H qui est le défi fondamental du XXI° siècle, et la ligne de fracture.

L’ONU a pris conscience de ce qu’on ne pourra réduire la pauvreté dans le monde sans réduire d’abord la marginalisation économique des femmes et leur assurer des droits économiques et sociaux, ainsi que les droits reproductifs, (qui ont été portés par mouvements de la seconde vague,) qui approfondissent la capacité de l’individu-e à disposer de soi.  Comme l’a dit la Conférence mondiale de Pékin : « Il n’y a pas de développement durable possible sans la participation des femmes en qualité d’acteurs dont les droits sont indissociables de ceux de l’être humain »

 

[1] Catherine Jacques, « Construire un réseau international : l’exemple du Conseil international des femmes (CIF), in E.Gubin, C.Jacques, F.Rochefort, B.Studer, F.Thébaud, M.Zancarini-Fournel, Le siècle des féminismes, Les Editions de l’Atelier, 2004

[2] E.Gubin, C.Jacques, F.Rochefort, B.Studer, F.Thébaud, M.Zancarini-Fournel, Conclusion, le bilan d’un siècle, ibid, p.434.