Les combats du mouvement féministe : combats pour l’universel

11ème Université d’Automnes de la Ligue des Droits de l’Homme, Novembre 2005

On a souvent distingué deux moments dans l’histoire du féminisme et de la conquête des droits des femmes : celui de la revendication de droits égaux ; celui de la conquête de droits spécifiques. Mais on peut aussi voir ces deux moments dans leur continuité, comme deux étapes dans un processus d’individuation, qui d’ailleurs n’est pas achevé.

Pour la première vague féministe, l’objectif c’était l’égalité des droits civils et politiques, l’éducation, l’entrée dans les professions ; c’est à dire l’accès à la sphère publique.

La deuxième vague, celle des années 70 du XX° siècle a pris le problème par l’autre côté, en s’attaquant à ce qui empêchait les femmes d’exister comme individu libre : la maternité-destin, la définition des femmes par leur fonction biologique et les rôles sexuels, les institutions de la vie privée.

Cette question de l’autonomie du sujet me parait centrale encore aujourd’hui, et je pense qu’elle doit nous servir de critère par rapport aux questions nouvelles qui divisent la société et le féminisme.

 

I-1° étape : Droits de l’homme, droits des femmes.

Question posée : Les femmes sont-elles des individus, avec les mêmes droits que les autres (c’est à dire les Droits de l’homme et du citoyen), en dépit de la « différence des sexes » ; ou bien celle-ci les enferme –t-elle dans une nature autre que celle qui confère à l’Homme des droits imprescriptibles et sacrés.

-D’un côté, le point de vue de Condorcet « Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles, susceptibles d’acquérir des idées morales, et de raisonner sur ces idées. Ainsi les femmes ayant ces mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes ; et celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens ». Condorcet, Lettre d’un bourgeois de Newhaven à un citoyen de Virginie. 1787) ».

-de l’autre (point de vue qui triomphera) débat à la Convention 1793, refuse les droits politiques des femmes et interdit les clubs de femmes, au nom de la « nature » et des « mœurs » sans lesquels, « il n’y a point de république ».

          Amar : « Chaque sexe est appelé à un genre d’occupation qui lui est propre ; son action est circonscrite dans ce cercle qu’il ne peut franchir, car la nature qui a posé ces limites à l’homme commande impérieusement et ne reçoit aucune loi ».

(in P.M.Duhet, Les Femmes et la Révolution, 1789-1791, Col Archives, Julliard, 1971).

Ce Paradoxe de la Révolution française, est aussi celui de Rousseau (invente le Contrat social et en exclut les femmes au nom de la « nature féminine » qui ne donne que des devoirs et qui doit être fabriquée artificiellement par l’éducation.

« Toute l’éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps et ce qu’on doit leur apprendre dès leur enfance ». Assignées à des rôles, les femmes n’étaient pas des individus abstraits, susceptibles de participer au Contrat social et à l’universel.

A partir de là  le féminisme se dessine C’est au nom de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et sur son modèle que les féministes ont réclamé des droits pour les femmes. Olympe de Gouges la première, dans sa « Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne » en 1791 : « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.[1]. ».

 

-La rhétorique des droits de l’homme est une particularité du féminisme français, qui est sans doute liée aussi à la question religieuse. Le féminisme s’est plus facilement développé dans des sociétés « réformées », et souvent à l’intérieur des religions. (Aux Etats-Unis, où le féminisme, né dans le combat pour l’abolition de l’esclavage fait plus référence à l’égale dignité des sexes dans la religion ou à leur supériorité morale).

En France comme l’a remarqué Sheila Robowtham : « du fait du maintien du catholicisme, le féminisme français s’exerçait plus dans le domaine temporel que dans le domaine religieux et s’efforçait de mettre la « raison » au service de la libération de la femme. » Féminisme et révolution, Pte Bib Payot, 1973, p.26).

La question religieuse s’est posée en France de façon particulière et a abouti à un modèle original.

Distinguer sécularisation et laïcité. Les Sociétés modernes sont sécularisées : c’est-à-dire que le politique est distinct du religieux. Le pouvoir ne vient plus de Dieu, La société trouve en elle-même sa raison d’être et sa légitimité. Donc les raisons d’obéir à la loi doivent être trouvées ailleurs que dans le respect (ou la crainte) de Dieu.

En France laïcité va plus loin que la seule séparation du politique et du religieux. Une lutte entre République et laïcité d’un côté et de l’autre Eglise catholique et contre-Révolution[2]), dont l’enjeu est la société civile (et donc les femmes). Le « parti républicain » de la III° (radicaux, francs-maçons, libres-penseurs) veut « Républicaniser la France » ; c’est-à-dire que la République ne se limite pas aux institutions politiques mais structure la société. D’où l’importance de l’Ecole pour forger une morale commune républicaine, fondée sur la raison et la liberté de penser.

On connaît les contradictions des républicains, entre les principes et leur application aux femmes. Ils ont établi le suffrage « universel », inventé un modèle intégrateur et universaliste, forgé la nation dans un long processus d’homogénéisation des identités et des cultures particulières ; mais ils en ont exclu les femmes, au nom d’une spécificité qui ne pourrait pas être transcendée

.-Les radicaux (principaux artisans de la laïcité) se sont le plus longtemps opposés au suffrage des femmes, par crainte de l’influence du clergé. Mais contexte de conflit ouvert entre Eglise catholique et République femmes sont un enjeu. Jules Ferry « Celui qui tient la femme tient tout ! C’est pour cela que l’Eglise veut retenir la femme et c’est aussi pour cela qu’il faut que la République la lui enlève, sous peine de mort ».

 

Effectivement La hiérarchie catho a réussi à organiser des femmes en grand nombre dans des organisations féminines conservatrices voire réactionnaires (Ligue patriotique des Françaises, contre la laïcité). Tandis que les Féministes sont restées attachées à la République, en dépit de son ambivalence à leur égard. (C.Bard, 1995)

Deux conceptions de « la femme ».

– féminisme revendique un statut d’individu, libre de choisir sa vie / religion qui voit la féminité (ou la différence des sexes) comme quelque chose d’intangible, d’immuable. Conforme à la volonté divine comme l’assignation à la maternité, la division sexuelle des rôles (dite complémentarité), la sujétion de la femme au mari.[3]

.Pour les féministes, la Laïcité est le cadre indispensable à l’émancipation des femmes. Elles tentent de faire passer leurs idées  dans tous les réseaux politiques républicains. (Ligue des Droits de l’Homme, Jeanne Schmall, Adrienne Avril de Sainte-Croix, Maria Vérone au Comité central de la LDH). Le réseau de la LDH soutient la Ligue des électeurs pour le suffrage des femmes, Soutient les institutrices féministes Henriette Alquier et Marie Guillot inculpées pour propagande anticonceptionnelle (M.Z p.235). Des féministes  chez les Francs-maçons, dans les cercles de la libre pensée, au parti radical (Cécile Brunschwig), chez les socialistes et les communistes (Madeleine Pelletier, Hélène Brion), chez les anarchistes et les néo-malthusiens (Nelly Roussel)

 

L’émancipation des femmes est intimement liée aux conquêtes laïques.

-L’école : l’école publique, gratuite, laïque et obligatoire a été étendue aux filles (Loi Camille Sée 1880, Enseignement secondaire féminin reste dans la conception de l’époque du rôle de la femme, pas de visée professionnelle, pour arracher les femmes à l’emprise de l’Eglise[4]), a été pour les femmes la voie de l’indépendance. Mais point de départ de la conquête de l’autonomie professionnelle.

-Les féministes soutiennent le combat d’Alfred Naquet pour le rétablissement du divorce (Loi Naquet 1884[5]). Le mariage n’est plus un sacrement, indissoluble, (ce que Dieu a béni, l’homme ne peut le défaire), mais un contrat entre deux individus. La femme qui peut demander le divorce est bien un individu.

Mais parmi les féministes plusieurs conceptions de la laïcité. Pour les modérées (notamment les protestantes) : neutralité de l’espace public garantissant libertés religieuses. Pour les plus radicales, la religion perçue en soi comme ennemie de la liberté des femmes. La Fronde, dénonce l’esprit religieux de servitude et d’abdication de soi.

Il y a aussi une ligne de partage autour de la revendication de maternité libre et du droit à l’avortement. Le mouvement féministe se divise au moment du vote de la loi de 1920, certaines participent à une Ligue contre le crime d’avortement, pour prouver que le mouvement féministe ne se confond pas avec néo-malthusiens (même si elles préfèrent la prévention à la répression), d’autres dénoncent la « loi scélérate ».

 

2°étape Le féminisme des années1970 continue le précédent par la progression de la scolarisation des filles, et de l’entrée des femmes sur le marché du travail. A ce stade, il ne s’agit plus de conquérir l’égalité des droits, mais l’autonomie de destin par la maîtrise de la procréation et l’autonomie professionnelle. C’est aussi la dénonciation du mariage, la contestation des rôles sociaux, la « libération des moeurs», le changement des normes familiales ; tout ce qui permet aux femmes d’exister autrement que comme mère, épouse, ménagère. Tout cela s’oppose à la conception traditionnelle, qui reste défendue par l’Eglise catholique (beaucoup plus que par les autres religions. Voir rôle du protestantisme dans le Mouvement Jeunes femmes, et dans le MFPF)

-Le mouvement de Libération des femmes ne s’est pas revendiqué comme un combat laïc, (époque dominée par la problématique marxiste, la Laïcité, comme la République considérées comme des acquis, un modus vivendi, acceptée de tous côtés (même si pas d’accord sur sa définition).

-Pourtant dans la campagne pour l’avortement, les camps qui se sont dessinés de part et d’autre ont clairement été structurés par l’opposition religion catholique / laïcité. Ils se sont inscrits dans les combats traditionnels de la société française

Si nous n’avons pas eu conscience sur le moment de ce que notre combat s’inscrivait dans la tradition laïque, c’est devenu tout à fait évident, avec le « backlash » et la « croisade » anti-avortement. (commencée aux USA, avec la nouvelle droite) ; Même en France, où nous croyions avoir définitivement gagné, le retour de la droite en 1995 a montré que les droits des femmes étaient menacés.

Pas conclure dès la première séance sur les questions que se pose l’ensemble de l’université d’automne. Mais quelques réflexions pour éclairer nouveaux enjeux et divisions féministes à partir de l’histoire du féminisme

-Après les avancées des années 70 le féminisme a partout connu un ressac, dans lequel part importante du retour des religions, en lien avec la réaction politique.

Et comme toujours, les femmes sont un enjeu.

La question de l’avortement : son interdiction symbole de catholicité (Irlande, Pologne, Malte). (1995, Conférence de Pékin, Rôle international du Vatican, allié aux Etats théocratiques (catholiques et musulmans). En France, retour de la droite au pouvoir. Même si pas combat prioritaire, une alliance laïque autour du droit des femmes de choisir,). (peuple de gauche, partis, syndicats, associations), Manif 1995 et création du Collectif national des Droits des femmes).

La question du voile à l’école, (première affaire 1989, et encore plus débat avant et vote loi mars 2004).. Le foulard est le symbole d’une identité « musulmane » qui cherche à s’affirmer dans l’espace public  par un signe ostensible, Il y a une remise en cause de la règle laïque et les femmes en sont l’enjeu qui place les religions dans la sphère privée. Il est un symptôme de la crise du modèle d’intégration républicain (avant la révolte des banlieues). C’est le refus du modèle de femme « moderne », « libre », par une marque d’inégalité, d’indignité des femmes. Avec retour à la « tradition », séparation des sexes, définition rigide des obligations des femmes. Mais sur cette question, au lieu d’une alliance progressiste autour de la défense des droits des femmes comme droits universels, on a un fossé qui se creuse, avec un courant  entre ceux qui défendent tout un courant à l’extrême gauche qui se mobilise pour défendre comme un droit soutenir outient

 

Il ne s’agit plus de la conquête de son autonomie par un Etat laïc face à une religion dominante, longtemps liée avec l’Ancien régime, et qui cherche à maintenir son influence sur l’ordre social, en s’opposant farouchement à la libéralisation des mœurs. Mais de la résistance de cet Etat au développement d’une religion qui se revendique comme deuxième religion de France. Religion des dominés,

Contexte géopolique , refus du modèle occidental (à la fois dans sa dimension impérialiste de domination sans partage de l’argent et du matérialisme, et dans celle de la modernité occidentale : dont l’égalité entre les femmes et les hommes et la liberté individuelle).

[1]. Olympe de Gouges, « Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne » (1791), in Le Grief des femmes, ed Hier et demain.

[2] « Seule la laïcité a séparé durablement deux France, chacune avec sa conception du monde, ses institutions, ses réseaux d’influence, se reconnaissant comme telles. L’affrontement entre un catholicisme intransigeant et une laïcité conquérante a évidemment perdu de son intensité et une bonne part historique de sa raison d’être »A.Bergounioux, « La laïcité valeur de la République », Pouvoirs, 75, 1995

[3] Jacques .Maître, « Genre, pouvoir et catholicisme », in C.Bard, C.Baudelot, J.Mossuz-Lavau, Quand les femmes s’en mêlent.

[4] Françoise Mayeur, « Recherches historiques sur l’enseignement féminin », in Ephésia, La place des femmes, Les enjeux de l’identité et de l’= au regard des sciences sociales, La Découverte, 1995

[5] Francis Ronsin, Les divorciaires Affrontements politiques et conceptions du mariage dans la France du XIX° siècle, Aubier, col. Historique, 1992 (p.269).