Paradoxes de l’égalité hommes femmes

Conférence à l’Ecole Doctorale, Université de Cergy-Pontoise.

Il y a plusieurs façons d’entendre la question de l’égalité hommes femmes .

Egalité des hommes et des femmes entre eux, ou égalité entre les hommes et les femmes.

Ces distinctions sémantiques ne sont pas sans conséquences

Dans la première conception, l’égalité est fondée sur la conception universaliste, sur l’unité du genre humain. Les individus sont égaux, indépendamment de leur sexe.

La seconde est fondée sur la différence des sexes, sur une division essentielle entre les hommes et les femmes. Les hommes et les femmes sont les deux moitiés -égales- du genre humain.

 

Est-il nécessaire, et est-il possible de choisir entre ces deux conceptions ?

Ce n’est jamais simple, mais cela se pose différemment selon les moments et les enjeux. C’est l’histoire des façons de poser la question de l’égalité H/F que je voudrais présenter, en insistant sur les paradoxes de chacun de ces moments.

 

Sur le terme de paradoxe

– référence à Joan Scott et à Olympe de Gouges

-J.Scott, historienne américaine, une des théoricienne du « gender », La citoyenne paradoxale, les féministes françaises et les droits de l’homme, (Albin Michel 1998), le titre anglais est une citation d’Olympe de Gouges (l’auteur en 1791 de la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » : « Only Paradoxes to offer »

-Olympe de Gouges avait bien conscience de la difficulté de la thèse qu’elle défendait. Elle savait qu’elle serait condamnée comme « une femme qui n’a que des paradoxes à offrir et non des problèmes faciles à résoudre » (cité par J.S p. 21).

Mais le paradoxe n’est pas particulier à Olympe de Gouges. En fait on le trouve tout au long de l’histoire, notamment l’histoire de France, l’histoire de la République, avec très longue marche vers l’égalité hommes-femmes.

Le paradoxe, il est peut-être inhérent à la lutte pour l’égalité des femmes et des hommes. Puisque les femmes doivent se reconnaître comme femmes, pour revendiquer les droits de l’homme. Elles doivent tenir ensemble deux « universalismes », contradictoires dans l’histoire du républicanisme français : l’universalisme des droits naturels de l’homme à l’égalité et à la liberté (l’héritage des Lumières et de la Révolution), et l’universalisme de la différence sexuelle, considérée comme naturelle et intangible.

 

= H/F d’abord une idée,

puis un principe, l’égalité des droits, bien avant d’être inscrit dans le droit.

plus tard il a fallu dépasser l’égalité en droit, pour reconnaître l’inégalité de fait et avancer vers une égalité plus concrète, une construction sociale de l’égalité (égalité de traitement, égalité des chances, parité etc. ).

C’est ces étapes que je vais présenter.

 

I – L’idée de l’égalité.

Pour poser la question de l’égalité, il faut déjà idée d’une commune mesure entre les sexes qui s’appelle l’égalité. De l’égalité des deux sexes :

(Depuis la Renaissance, querelle des femmes, « Querelle des amyes » XVI° XVII° siècles : polémique sur l’excellence, la prééminence ou la supériorité d’un sexe sur l’autre. On peut citer Louise Labbé, Marguerite de Navarre, Christine de Pisan: S’élèvent contre les propos misogynes, y opposent valorisation des femmes, demandent justice, considération, respect pour les femmes, au nom de ce qu’elles sont, de leur différence, de la complémentarité, du partage. Ne sont pas dans une mesure de l’égalité.

-Querelle Une querelle est le contraire d’un conflit auquel on suppose une dynamique et une solution possible ; une querelle est répétitive, elle piétine et ressasse les mêmes arguments, sans fin. (G.Fraisse, La controverse des sexes, 2001) :

 

Au contraire XVII° émerge l’idée de l’égalité des sexes.

Tout un courant de pensée qui se réfère au Cartésianisme pour démontrer l’évidence de l’égalité des sexes. « Puisque l’infériorité, l’ignorance ou la faiblesse des femmes semblent des idées partagés par tous, la méthode dialectique va réfuter ces opinions, non pas en leur en opposant d’autres, mais en montrant à partir de leurs présupposés qu’elles sont fausses » (ED p.75). Discours logique veut démontrer l’égalité, son évidence, en invalidant l’argumentaire adverse, en montrant ses contradictions et ses erreurs théoriques.(Elsa Dorlin p.14) (Elsa Dorlin a analysé ces auteurs dans L’évidence de l’égalité). Marie de Gournay, (la fille d’alliance de Montaigne), L’égalité des hommes et des femmes (1622), Le grief des dames (1626) Anna Maria Van Schurman, François Poulain de la Barre (De l’égalité des deux sexes) et Gabrielle Suchon. Philosophies, discours et pratiques, partis de l’idée que l’= des sexes était première, incontestable, malgré l’inégalité de fait, cad la domination. « l’égalité des sexes est vraie avant même d’être juste » (p.149). Mettent en question l’éducation des filles qui leur interdit de développer leur intelligence et leur fait intérioriser leur infériorité. Argumentaire philosophique

Figure de rhétorique nouvelle: Procès –

-Déjà Poulain de la Barre Nous sommes remplis de préjugés (..;) de tous les préjugés, on n’en a point remarqué de + propre que celuy qu’on a communément sur l’inégalité des deux sexes », le préjugé sur l’infériorité des femmes préjugé par excellence, celui « qui les renferme presque tous »

que Stuart Mill développe deux siècles après (image du procès impossible. Pourquoi l’assujetti doit-il prouver qu’il est dans son droit en réclamant l’= ? Pourquoi la charge de la preuve n’incombe-t-elle pas au dominant ?).

 

François Poulain de la Barre, De l’Egalité des deux sexes : (1673 -réédition 1984, Fayard)

On ne doit faire aucun fonds sur certaines expressions ordinaires tirées de «  l’état présent des deux sexes »  » en appliquant la « méthode cartésienne » il peut démontrer  « qu’elles n’ont été assujetties que par la loi du plus fort et que ce n’a pas été faute de capacité naturelle ni de mérite qu’elles n’ont point partagé avec nous ce qui élève notre sexe au dessus du leur« .

Cette façon de poser le problème, inaugure la forme de procès d’instruire le procès annonce l’universalisme des droits de l’homme, dans la théorie du droit naturel. -« Si (les jurisconsultes) s’opiniâtraient à soutenir que les femmes sont naturellement dépendantes des hommes, on les combattrait avec leurs propres principes, puisqu’ils reconnaissent eux-mêmes, que la dépendance et la servitude sont contraires à l’ordre de la nature, qui rend tous les hommes égaux ».

Pour Poulain de la Barre, l’égalité des hommes et des femmes c’est l’égalité de tous les êtres humains. La différence des sexes ne peut justifier leur inégalité « l’esprit n’a pas de sexe » dit-il.

Donc les droits doivent être les mêmes pour l es femmes et pour les  Condorcet :

« Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles, susceptibles d’acquérir des idées morales, et de raisonner sur ces idées. Ainsi les femmes ayant ces mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes ; et celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens« . Condorcet, Lettre d’un bourgeois de Newhaven à un citoyen de Virginie. 1787) ».

 

  1. 1789. De l’idée au principe

Avec la Révo l’= a changé de statut, ce n’est plus une simple idée, c’est devenu un  principe. des droits de l’homme « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits« .

Qu’en est-il de l’= H/F dans ce contexte ?

Olympe de Gouges  : « La femme naît et demeure libre et égale à l’homme en droits, les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune« . Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791)

 

Après une période confuse, de débats, les femmes sont écartées de la vie civique. En 1791 une pétition signée par un certain nombre de femmes et par Condorcet est présentée à l’Assemblée constituante. Sans succès. Comment, dans la logique de 1789 expliquer cette exclusion des femmes du droit de cité ?

Je cite le débat à la Convention, qui conclue au refus des droits politiques, et à l’interdiction des clubs de femmes, parce qu’il illustre bien la contradiction entre l’universalisme des droits de l’homme et celui de la différence des sexes

Amar : « Chaque sexe est appelé à un genre d’occupation qui lui est propre ; son action est circonscrite dans ce cercle qu’il ne peut franchir, car la nature qui a posé ces limites à l’homme commande impérieusement et ne reçoit aucune loi ».

Charlier : « je ne sais sur quel principe on peut s’appuyer pour retirer aux femmes le droit de s’assembler paisiblement ; à moins que vous ne contestiez que les femmes font partie du genre humain pouvez-vous leur ôter ce droit commun à tout être pensant ? » (in P.M.Duhet, Les Femmes et la Révolution, 1789-1791, Col Archives, Julliard, 1971).

 

Difficile de comprendre aujourd’hui la logique (universalisme, droits de l’homme et exclusion des femmes des droits humains). Les révolutionnaires victorieux établissent une distinction radicale entre les sexes : aux hommes le public, les valeurs démocratiques, la politique ; aux femmes le domestique, le foyer, le dévouement à la famille.

Femmes exclues de la citoyenneté au nom de « la nature » et des « mœurs » sans lesquels -dit Amar- « il n’y a pas de république ».

Voir que les deux logiques contradictoires puisent à la même source :  c’est J.J. Rousseau qui est à la fois le théoricien révolutionnaire du Contrat social et le chantre d’un féminin relégué dans la nature.(P.Rosanvallon « corrélation entre le sacre politique de l’homme et le déni de citoyenneté dont est victime la femme » p. 138, comme si leur exclusion était nécessaire à l’établissement de la démocratie.

Régression du statut de la femme entre 1792 et l’adoption du Code Civil tient aussi à l’émergence de l’individualisme libéral. Participe de la distinction plus tranchée entre le privé et le public).

Les droits de l’homme résultent de la nature humaine, mais la nature féminine est -si on peut dire- d’une autre nature, une nature quelque peu artificielle puisqu’il faut l’éducation pour forcer la femme à s’y conformer (« La femme est faite pour plaire à l’homme, et son éducation doit l’y conformer » .JJRousseau). Rousseau parle des femmes comme de « la précieuse moitié de la République ».

 

Pour G.Fraisse (La raison des femmes, p.20) l’exclusion est produite par 3 mécanismes : la crainte d’une confusion entre les sexes, le refus que l’exception fasse règle, l’attribution aux femmes du pouvoir des mœurs.

« Derrière l’évidence de la volonté de domination masculine, apparaît une angoisse profonde.. la peur de la confusion entre les sexes.  Et cette confusion serait le produit d’un raccourci saisissant entre la citoyenneté et l’amour ; participer à la res publica serait une menace pour la relation amoureuse » Muse de la Raison p. 197). Différence hommes femmes pensée comme nécessaire à l’attirance entre eux. Si l’= signifiait l’identité des individus, la frontière entre le masculin et le féminin remise en cause ; alors « dans la vie privée l’amour serait réduit à l’amitié, et dans la vie publique le rapport ne serait que de rivalité » (Raison des femmes, p. 20

Ancien Régime pouvait tolérer femme lettrée, femme savante parce qu’exception. Avec l’ère démocratique, risque que l’exception devienne la règle, instruction de toutes les femmes… Citoyenneté fait des hommes des semblables, ne veulent pas que femmes soient des semblables.

C’est dans ce paradoxe de la pensée de Rousseau et de la Révolution française que le féminisme trouve sa source intellectuelle.

-le féminisme, existe avant le mot. Cris et arguments des femmes qui emplissent une littérature

étonnamment moderne  fut une attitude individuelle

A chaque époque son argumentation : la « Querelle des femmes » au XVI°, Les « Précieuses » au XVII°,  Mary Wollestonecraft, Vindication of the Rights of Women, 1792 une réponse à Rousseau, le premier ouvrage féministe dans le sillage de la Révolution française.

(ce qui différencie l’espèce humaine des animaux : la raison. Il est du devoir des humains de développer leurs capacités autant qu’ils le peuvent. Tous les êtres humains ont reçu de Dieu des droits naturels, : droits de liberté, d’égalité et de propriété (dont la propriété de sa propre personne. L’éducation artificielle que les femmes subissent les empêche de jouir de leurs droits naturels).

Devient un mouvement social et politique à partir du XIX° .

(mot date début III° Répu  chez A.Dumas fils : désigne les femmes qui revendiquent l’égalité avec les hommes semblent vouloir leur ressembler, la différence sexuelle est menacée. Revendiqué par les féministes à la fin du siècle).

Léon Abensour « cas d’aspiration collective vers l’égalité » (H Gale du féminisme, 1921).

 

J.Scott souligne le Paradoxe du féminisme : né de la contestation de l’exclusion des femmes, il veut éliminer la « différence sexuelle » de la politique, mais il doit le faire « au nom des femmes » (donc en s’appuyant sur cette différence qu’il tentait d’éradiquer « Toute son histoire en tant que mouvement politique repose sur ce paradoxe : la nécessité d’affirmer et de refuser  à la fois la différence sexuelle » (J.S p. 20).

 

Paradoxe : le féminisme affirme et récuse à la fois la différence des sexes. Il l’affirme parce qu’il revendique au nom d’un « nous les femmes » et en même temps il récuse ce recours à la différence, parce qu’il redoute l’assignation à une féminité hiérarchiquement inférieure qui trace les frontières de l’exclusion des femmes

 

Mais « Dilemme de Mary Wollestonecraft*** Etre féministe c’est concevoir les femmes comme un ensemble, au nom du quel on s’exprime, comme un groupe social, avec un statut, des intérêts communs. C’est se définir comme femme en même temps qu’on réclame pour les femmes « les attributs de l’humanité ». Mary Wollestonecraft, en 1792 qui se positionnait ainsi : « Je plaide pour mon sexe, et non pour moi ». (Cf Mary Wollestonecraft, Vindication of the Rights of Women,). Mary Wollestonecraft, Vindication of the Rights of Women, 1792 souligne que l’idolâtrie française de la f au XVIII° est tout à fait cohérente avec sa mise à l’écart. La F est adulée dans son infériorité comme un « beau défaut » de la nature.

 

La longue lutte des femmes pour l’égalité des droits :

– combine revendication égalité citoyenneté, neutralisation de la différence sexuelle et pensée utopique Charles Fourrier « l’égalité entre les sexes est l’utopie nécessaire du féminisme », p.230)

-argumentation est celle des droits de l’homme, dans la problématique de le déclaration DHC.

Flora Tristan « Tous les malheurs du monde proviennent de cet oubli ou mépris qu’on a fait jusqu’ici des droits naturels et imprescriptibles de l’être femme ».

Groupes féministes de la Belle époque : « Société de la Revendication des Droits de la femme », « Le Droit des femmes ».  Hubertine Auclerc « Le droit est le droit, et malgré toutes les usurpations commises contre le droit des femmes, il est et il subsiste » Le Droit politique des femmes, question qui n’est pas posée au congrès féministe de 1878.

 

Cette rhétorique des droits de l’homme est une particularité du féminisme français.

l’histoire du féminisme français: plus précoce, (1789), plus intellectuel, et minoritaire, nettement posé dans les termes de la Révolution française et résultant de sa contradiction L’argumentaire est différent dans d’autres pays. Aux Etats Unis le féminisme, né dans le combat pour l’abolition de l’esclavage, visions libératrices du millénarisme, fait plus référence à l’égale dignité des sexes dans la religion ; en Angleterre l’argumentation (par exemple de Stuart Mill) est « utilitariste » : il faut que les femmes soient représentées parce que leurs intérêts sont distincts de ceux des hommes. (+ suffragettes pas dans une logique d’égalité ni d’universalisme**thèse*)

(Sheila Robowtham : du fait du maintien du catholicisme, le féminisme français s’exerçait plus dans  le domaine temporel que dans le domaine religieux et s’efforçait de mettre la « raison » au service de la libération de la femme. Féminisme et révolution, Pte Bib Payot, 1973, p.26).

 

Le long combat pour la conquête de l’égalité « formelle »

la conquête de l’égalité des droits a été particulièrement difficile en France (notamment suffrage près d’un siècle d’écart entre le suffrage « universel » masculin, et le vote des femmes, partout ailleurs écart bien moindre).

Pourquoi un tel décalage entre affirmation de l’universalisme du droit et inscription du droit des femmes dans les textes ?

-noter que pas seulement femmes, aussi enfants serviteurs (ne s’appartiennent pas). Suffrage longtemps censitaire (1789-1848).

-des droits particuliers accordés au coup par coup (autonomie éco et civile, éducation, protection maternité) mais pas légitimité universelle. Pas individu libre de se gouverner. Selon Pierre Rosanvallon, au delà des facteurs souvent mis en avant pour expliquer cette particularité (le poids culturel du catholicisme, les craintes politiques des républicains, le blocage institutionnel de Sénat), une autre interprétation. Plus facile de donner le droit de vote aux femmes dans pays anglo-saxons, approche utilitariste : elles ont des droits en raison de leur spécificité, en tant que membres d’un groupe, représentant des intérêts particuliers. Dans la conception universaliste à la française, c’est en tant qu’individu abstrait qu’on est citoyen. Pour donner le vote aux femmes, il faudrait les considérer comme des individus, échappant aux déterminations de leur sexe (à leur nature comme auraient dit JJRousseau ou Amar) Le Sacre du citoyen, Histoire du suffrage universel en France, .

Fin de la II° guerre mondiale, droit des femmes reconnu, légitimité politique et juridique, fin de la superposition de l’universel et du masculin. (abs de « distinction » entre sexes, races, religions renforce l’idée d’universel : termes 1944-46 : Egalité formelle : inscrite dans la Constitution, « principe particulièrement nécessaire à notre temps »

(ordonnance du 21 avril 44)« Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes » . Préambule de la Constitution de 1946 « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».

Victoire du féminisme ? Certainement, mais victoire posthume, non reconnue, qui semble clore « La querelle du féminisme (comme dit S de B.) a fait couler beaucoup d’encre, à présent elle est à peu près close : n’en parlons plus ».

reconnaissance pour héroïsme des résistantes, querelle de paternité De Gaulle PCF.

« En gros nous avons gagné la partie » peut écrire Simone de Beauvoir,

En fait avec la reconnaissance de l’= des droits, On quitte la catégorie de l’exclusion pour entrer dans la problématique de la « discrimination » .

 

II- Simone de Beauvoir et l’égalité

On connaît l’apport de S de Beauvoir : mise en question de la naturalité de la différence des sexes « on ne naît pas femme, on le devient ». On connaît moins, mais à mon sens aussi important pour « révolution » du féminisme :  autre conception de l’égalité changement radical de perspective qui fait du Deuxième sexe le point de départ d’une nouvelle époque,

« Quand un individu ou un groupe d’individus est  maintenu en situation d’infériorité, le fait est qu’il est inférieur, mais c’est sur la portée du mot être .qu’il faudrait s’entendre : la mauvaise foi consiste à lui donner une valeur substantielle, alors qu’il a le sens dynamique hégélien : être c’est être devenu, c’est avoir été fait tel qu’on se manifeste ; oui les femmes dans l’ensemble sont aujourd’hui inférieures aux hommes, c’est à dire que leur situation leur ouvre de moindres possibilités : le problème est de savoir si cet état de choses doit se perpétuer ».(p.285)

On a donc chez Simone de Beauvoir une nouvelle façon de poser l’égalité  hommes-femmes. L’inégalité n’est pas une inégalité de valeur, elle ne vient pas de la nature ; elle est résultat du maintien dans une situation d’infériorité, « On ne naît pas femme, on le devient« . Et c’est cela qu’il s’agit de changer.

S’intéresse peu aux « droits abstraits » (qu’elle considère comme acquis)) qui ne permettent pas d’assurer aux femmes une prise concrète sur le monde, mais d’avantage aux conditions concrètes où elles sont enfermées. En ceci elle rejoint d’ailleurs la critique marxiste de l’égalité formelle. Citer Engels « Dans la famille, l’homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du prolétariat… mais le caractère particulier de la prédominance de l’homme sur la femme.. (ne se montrera) qu’une fois que l’homme et la femme auront juridiquement des droits absolument = » (OFPPE p. 82).

 

Paradoxes de la conception beauvoirienne de l’égalité hommes-femmes :

 

-L’individualisme existentialiste :

L’égalité qui l’intéresse ne se limite pas à l’égalité des droits, c’est une égalité existentielle.

Ce qui définit l’humanité,  c’est la transcendance. Elle place la liberté et la responsabilité au sommet des valeurs éthiques. Ce qui définit les femmes. ce qui les met à part des hommes, au contraire,  l’immanence l’ancrage dans la  nature. La femme est clivée entre sa spiritualité qui aspire à l’évasion, et son corps englué par les lois animales de la reproduction. C’est pourquoi SdB, comme individu choisit d’échapper à la « condition féminine » (mariage, maternité, foyer). Elle choisit de vivre libre, comme un individu. C’est à dire comme un homme. « C’est en s’assimilant à eux qu’elle s’affranchira »  Une forte valorisation du masculin, identifié à l’universel. C’est une égalité individuelle, celle de l’être humain (avec ses privilèges, qui ont toujours été déniés aux femmes. Mais que à elle Simone de Beauvoir, a eu « a comme beaucoup de femmes d’aujourd’hui (…) la chance de se voir restituer  »

 

-Paradoxe : La position de S de B par rapport à l’identité féminine. Elle est une femme, elle se penche sur la question parce qu’elle est femme (pour se définir elle même, nécessité de définir ce qu’est une femme). Et le Deuxième sexe, extraordinaire détour de compréhension de ce que c’est que d’être une femme. Non pas par la nature (comme le prétendaient les révolutionnaires de 1789 et les républicains de 1848 pour exclure les femmes du droit de cité et de l’égalité et pour leur imposer un destin), mais de la devenue-femme (avec les étapes de la formation, les variantes, les mythes**). On trouve dans le 2° sexe une grande empathie avec le vécu des femmes, et en même temps un rejet de tout ce qui touche au corps des femmes, tout ce en quoi « l’individualité de la femelle est combattue par l’intérêt de l’espèce » (p.41) on peut même y trouver des accents misogynes. Ce qui définit l’être humain c’est la transcendance, le fait de choisir son destin. C’est ce qu’elle propose : échapper à titre individuel au poids de l’espèce, se forger un autre destin, celui de l’être humain « Vers l’indépendance » (titre de son dernier chapitre). C’est l’exemple qu’elle donne dans sa vie. Choix individuel, et qui ne peut qu’être individuel (l’humanité n’aurait pas d’avenir si toutes les femmes choisissaient d’échapper à ce qui les maintient dans l’immanence).

-Le choix individualiste de S de B est circonstanciel. C’est le choix qu’elle fait en 1949. Mais dans les années 70, elle n’hésite pas une seconde à s’engager dans le combat collectif, à mettre sa notoriété au service de la lutte des femmes (elle signe le Manifeste des 343 pour la liberté de l’avortement), elle est présente -avec un grand bonheur- chaque fois qu’on fait appel à elle.

(S.Chaperon , la meilleure historienne de la période Les années Beauvoir, note d’ailleurs que tous les points d’achoppements de la pensée beauvoirienne ont à voir avec le vécu corporel et intime des femmes. Ce sont des domaines, dit-elle, que les féministes ont jusqu’alors peu examinés et « et qui préfigurent avec vingt ans d’avance les chantiers du MLF »  La place des femmes, p. 350). Puisqu’il s’agit alors de changer -pour toutes les femmes- ce qui les maintient dans l’immanence, de faire que la maternité ne soit plus un destin, mais un choix et que l’individualité féminine ne se résume plus à cette définition relative (par rapport à un homme ou à des enfants).

Le féminisme des années 70, changement de conception de l’identité féminine. Non plus conquête de l’égalité des droits (obtenir les mêmes droits que les hommes), mais conquérir l’autonomie de destin (accompagne la progression de la scolarisation des filles, de l’entrée des femmes sur le marché du travail, et la maîtrise de la fécondité, qui permet aux femmes de mener de front « carrière professionnelle et carrière maternelle).

 

On a vu comment = H/F avait d’abord été une idée, défendue et contestée, sur le mode de la querelle, puis du procès Comment, devenue un principe, l’= des droits, avait finalement été reconnue.

Mais on a vu que l’= en droit ne suffisait pas, qu’il fallait reconnaître la réalité de l’inégalité, de l’infériorisation des femmes, pour pouvoir la combattre.

On a vu qu’à chacune de ces étapes, avec des modalités différentes, la revendication de l’= h/f restait prise dans ce paradoxe du féminisme : l’affirmation de la différence des sexes (pas forcément naturelle et immuable, mais du moins considérer les femmes comme un groupe social au nom duquel on revendique), et en même temps le refus que cette différence produise de l’inégalité dans l’accès aux droits de l’individu.

On va voir maintenant quels moyens ont été mis en œuvre pour que la différence des sexes ne produise pas d’inégalité sur ces deux terrains : la vie professionnelle et la citoyenneté. Inutile de préciser dès l’abord que l’objectif est loin d’être atteint et que le paradoxe est toujours là.

 

 

III- De l’égalité des droits à l’égalité des chances dans la vie professionnelle.

Le point de départ est le même que pour S de B : l’égalité des droits reconnue comme principe et idée que l’inégalité entre les femmes et les hommes n’est pas naturelle, mais sociale et qu’elle doit être combattue. Mais le terrain est différent (peut-être complémentaire) ; celui du droit.

Au lendemain de la II° Guerre M , affirmation d’un nouvel universalisme et mise en place d’institutions pour le défendre. La même logique que celle de la IV° République dans toutes les constitutions de l’après guerre et dans Déclaration universelle des droits de l’homme  l’ONU. l’universalisme de l’espèce (rappeler contexte victoire des peuples libres sur régimes qui ont tenté de dégrader la personne humaine*). 1948

1967 « Déclaration » Elimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. 1979 devient une Convention (CEDAW) encore non ratifiée par une trentaine d’états

. – 1951, L’Organisation internationale du travail  a posé le principe d’un « salaire égal pour un travail de valeur égale » (Convention n°100 BIT, ratifiée par 82 pays).

Mais c’est dans la Communauté économique européenne, que vont être développées des modalités concrètes. Egalité professionnelle possible, construction par le droit social couplé avec l’intervention étatique »(GF p. 83 CS). Elargissement du traité de Rome par notions de contrainte : possibilité de recours en justice et actions positives propres à assurer  l’égalité entre les femmes et les hommes .

1957, Article 119 du Traité de Rome, impose : « l’égalité de rémunération « chaque Etat membre assure au cours de la première étape, et maintient par la suite, l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail ».

-rupture par rapport à règles admises, source archaïque de discrimination : la notion de salaire d’appoint. Le salaire des hommes (considérés comme chefs de famille) doit permettre de couvrir les besoins d’une famille, les femmes étant considérées comme célibataires sans charge. Cette tradition, forte dans les négociations salariales, et qui légitimait les différences de salaire entre hommes et femmes, n’est plus inscrite dans les règles depuis 1946, (Décret Ambroize Croizat, ministre communiste du travail, qui abolit la double échelle des salaires), mais elle persiste au niveau des préjugés sociaux autour de la place des femmes au travail. En France toute la législation du travail a été  construite autour de l’idée que les femmes (les mères au travail) devaient être protégées (législation protectrice comme interdiction du travail de nuit dans l’industrie, durée du travail limitée,  protection de la maternité).

Objectif premier du droit communautaire : éviter des distorsions de concurrence entre entreprises qui trouveraient leur source dans un coût inférieur du travail féminin. Selon E.Sullerot la France aurait posé cette condition pour signer le Traité de Rome (sinon sa compétitivité aurait été diminuée parce qu’elle ne sous-payait pas les femmes).

Ce n’est qu’à partir des années 60 et 70 (et des luttes féministes) que l’égalité est devenue un objectif en soi. Le principe de l’= des salaires pour un travail égal est admis, mais en France on considère volontiers que la France ayant ratifié la convention de l’OIT et le Traité de Rome, il n’est pas nécessaire d’adopter une législation supplémentaire.

 

L’Europe développent les moyens de l’= : 3 Directives :

-10 février 1975 = de rémunération entre travailleurs masculins et féminins

-9 février 76 L’Egalité de traitement entre hommes et femmes (en ce qui concerne l’emploi, la formation professionnelle, les conditions de travail). L’inégalité des rémunérations n’est que l’expression d’inégalités construites par ailleurs) (19 décembre 78, la Sécurité sociale). Rapprochement des législations des Etats membres, oblige ceux-ci à purger leur droit de toute discrimination et à prendre les mesures pour amender dispositions contraires dans conventions collectives ou contrats de travail. Permet une exception au principe de l’égalité des droits « la directive ne fait pas obstacle aux mesures visant à promouvoir l’égalité des chances entre hommes et femmes en remédiant aux inégalités de fait ». L’égalité des chances : il ne suffit pas de garantir l’égalité, il faut aussi lutter contre la reproduction d’attitudes traditionnelles, pour assurer à la population discriminée l’accès à l’= des chances (obstacles n’apparaissent plus de nature juridique mais sociale, culturelle et historique). C’est ce qu’on appelle l’Action positive. (ou de façon négative la « discrimination positive »)

 

La Cour de Luxembourg a interprété la logique anti-discriminatoire des textes européens de façon féconde avec le concept de discrimination indirecte qui permet de considérer comme discriminatoire une mesure apparemment neutre, mais qui touche en réalité plus particulièrement un groupe donné (ex : mesures défavorables aux travailleurs à temps partiel). il faut corriger des situations de discriminations sociales pour réaliser les conditions de l’égalité.

Recommandation du Conseil des Ministres de la CEE 13 décembre 84, invite les Etats à développer les actions positives « par des politiques destinées à éliminer les inégalités de fait dont les femmes sont l’objet dans la vie professionnelle, ainsi qu’à promouvoir la mixité dans l’emploi et comportant des mesures spécifiques appropriées »

 

Directives transposées dans le droit français par la loi Roudy du 13 juillet 83 relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. « des mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes en vue d’établir l’égalité des chances en matière professionnelle entre salariés des deux sexes ».

-Un volet anti-discriminatoire (complète l’interdiction de discriminer, limite les motifs légitimes).

-Un volet incitatif: Un Rapport annuel des employeurs aux comités d’entreprise (cause des disparités identifiées, incitation aux partenaires sociaux à négocier plans d’égalités qui pourront être aidés par l’Etat).  Pas d’obligation, mais incitation (avec financement de l’Etat possible)

Ce point de vue correspond peu à la tradition française, d’égalité formelle et de protection des femmes au travail..

Et Yvette Roudy a eu beaucoup de mal à faire admettre ces règles par ceux qui seraient chargés de les promouvoir (les partenaires sociaux, les syndicats). ceux-ci se sont opposés à ce que des associations de femmes puissent intervenir dans l’entreprise. Il y a eu peu d’actions en justice, et encore moins de succès de celles-ci pour les femmes (des hommes en revanche ont gagné grâce à cette loi). Le peu d’enthousiasme à se servir de cet outil tient aux faibles chances de réussite vu que la Chambre sociale de la Cour de Cass a été très longue à modifier sa jurisprudence (Quelques arrêts montrent évolution de la jurisprudence)

-En ce qui concerne le volet positif pas plus de vingt ou trente plans ont été négociés (notamment programmes de formation préférentiels pour les femmes).

 

Il faudrait comprendre cette résistance de la culture juridique française aux actions positives. La préférence pour l’égalité en droit, qui rend difficile de mettre en évidence les inégalités réelles. Et l’idée que des mesures d’action positives porteraient atteinte à l’égalité formelle des sujets de droit.

L’expression de « discriminations positives » est pernicieuse, parce qu’elle renvoie à l’idée de faveur, voire de privilège ». C’est ce terme qui est employé pour rejeter les actions positives (voir encore le rapport remis le (26 janvier 2004), par le Haut conseil à l’intégration)

(présidé par      Blandine Kriegel, chargée de mission auprès du Président de la république -après avoir été conseillère de François Mitterrand)

 

Pourtant la Jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européenne  précise sa position. Qui la rend + acceptable dans le contexte français. Interdit actions positives qui « donnent une priorité inconditionnelle et absolue aux femmes lors d’une nomination ou d’une promotion »  (Arrêt Kalenke 17 oct 95). Mais autorise « actions visant à accorder une priorité aux femmes, dès lors qu’elles sont sous représentées, à condition que les candidatures fassent l’objet d’une appréciation objective qui tienne compte de tous les critères relatifs à la personne des candidats et que la priorité accordée aux femmes soit écartée lorsque l’un ou plusieurs de ces critères fassent pencher la balance en faveur du candidat masculin » (Arrêt Marshall, 11-11-97). Autrement dit la priorité au sexe sous représenté ne peut fonctionner qu’à qualifications égales.

 

Traité d’Amsterdam révise celui de Rome. Art 2 fait de l’égalité entre les sexes une mission de la Communauté européenne, « Pour assurer concrètement une pleine = entre h et f dans la vie prof, le principe de l’= de traitement n’empêche pas un Etat membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle ».

A Luxembourg l’égalité des chances devenue un des 4 piliers de la politique européenne pour l’emploi, un cadre dans lequel les Etats membres doivent inscrire leurs Plans nationaux d’action pour l’emploi.

 

-Dans la législation française : Loi introduit l’inversion de la charge de la preuve 97 sur la discrimination indirecte et le renversement de la charge de la preuve (l’employeur devra faire la preuve de se bonne foi). Loi Genisson  (9 mai 2001) objectif rendre l’= prof + effective. Renforce les obligations des entreprises et de l’administration. Obligation annuelle de négocier sur l’= prof hf au niveau de l’entreprise et tous les 3 ans au niveau de la branche. Loi de modernisation sociale (qui n’a pas été totalement abolie depuis le retour de la droite au pouvoir).

Trop tôt pour dire si va être effective (les DRH n’ont pas l’air d’avoir intégré l’exigence d’égalité entre les femmes et les hommes, les ministres ne font pas grand chose pour faire respecter les règles -par exemple composition des jurys).

 

Cette conception de l’= implique :

-la connaissance et la reconnaissance des discriminations directes et indirectes

-la volonté de les surmonter et de les combattre

-la promotion de l’égalité reconnue par les textes, au moyen de mesures effectives et efficaces.

Tout ceci s’oppose à l’universalisme républicain, qui se proclame égalitariste, et préfère ne pas voir ce qui le contredit et qui est mis en avant pour interdire le traitement différencié.

Paradoxes français sur la conception de l’égalité. Ce sont des Français, et surtout des Françaises qui ont été promoteurs/trices de cette conception de l’=, à laquelle la résistance est toujours très forte en France. Pour imposer la prise en compte de cette conception de l’égalité,  Ils/Elles ont fait un détour par les règles européennes.

Experts Madeleine Guilbert (PCF), Marguerite Thibert (MDF), syndicalistes Jeannette Laot (CFDT), Chantal Rogerat (CGT), féministes d’Etat Marcelle Devaud (Gaulliste). Comité du travail féminin. Jacqueline Nonon « La cause des femmes passe par l’Europe ; parce que tous ensemble nous pourrons avancer, alors qu’individuellement aucun Etat membre n’adoptera jamais de législation pour l’= »

L’universalisme à la française résiste à la prise en compte des inégalités de genre (« gender-blind »). Conception fondée sur le droit des individus, bénéficiant d’une égalité théorique garantie par les règles juridiques (Constitution, Loi : la même pour tous). L’égalité des droits est censée assurer « naturellement » l’égalité des chances. Choix de « neutralité », manque d’informations distribuées selon le sexe. C’est seulement depuis ces dernières années que les statistiques doivent distinguer, et cette obligation est très longue mettre en œuvre et rarement utilisée. Modèle « républicain » reste réticent aux « actions positives » qui seules peuvent faire bouger les choses. Encore aujourd’hui, si difficile de faire avancer l’= en France qu’on ne peut agir que par les contraintes européennes. (Voir la situation des « gender studies » en France).

Il n’est pas facile de produire de l’égalité dans l’espace économique, parce la différence des sexes y est effective. Comme le souligne Geneviève Fraisse : « en politique l’égalité citoyenne repose sur le fait qu’hommes et femmes sont semblablement des êtres de raison » alors que dans l’espace économique il faut produire de l’égalité à partir de différences entre les sexes. (« Comment produire de l’égalité ? », Cahiers du MAGE, 3-4/95).

-Depuis 1995 nouveau principe « gender mainstreaming » (intégrer la dimension d’égalité des chances dans l’ensemble des politiques européennes : transversalité : l’= des sexes est un axe

 

 

4-la question de la parité,

Au nom du principe universaliste,  le Conseil constitutionnel a invalidé le 18 novembre 1982, une loi électorale adoptée à la quasi-unanimité, qui limitait à 75% la proportion de personnes du même sexe sur les listes aux élections municipales. Au prétexte de l’égalité des citoyens devant la loi, d’un ‘droit de vote et d’éligibilité’ ouvert dans des conditions identiques ‘à tous ceux qui n’en sont pas exclus’, le Conseil constitutionnel interdisait ‘toute division par catégorie des électeurs ou des éligibles’. « la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l’éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n’en sont pas exclus ». 

La conception formelle de l’égalité interdisait tout progrès vers une égalité réelle.

Fallait-il continuer, au nom de l’universalisme, à revendiquer l’égalité entre les individus quelque soit leur sexe, ou bien fallait-il poser le dualisme de l’humanité, et exiger l’égalité entre les femmes Cette décision était choquante par le mépris affiché à l’égard de l’exclusion politique des femmes. Mais elle était un rappel clair de la conception française de l’universalisme républicain, qui interdit « toute division par catégorie des électeurs ou des éligibles« .

– L’idée de démocratie paritaire dans différentes instances de réflexion internationales: colloque ‘Pour une démocratie paritaire’ du Conseil de l’Europe en 1989, sommets européens ‘Femmes au pouvoir’ d’Athènes en 1992 et ‘Les femmes pour le renouveau de la politique et de la société’ de Rome en 1996 organisés par le réseau d’expertes ‘Femmes dans la prise de décision’ de la Communauté européenne. Conférence mondiale sur les femmes, Pékin en 1995.

s’inscrit dans une perspective beaucoup plus radicale que l’égalité des chances, puisqu’il ne s’agit plus d’éliminer des obstacles structurels à l’égalité (en comptant que celle-ci se réaliserait alors d’elle-même) mais d’imposer un résultat, en passant par dessus l’égalité de traitement.

 

L’opinion publique, tous les sondages le confirment, est favorable à la parité. La notion est séduisante, simple, compréhensible. Elle n’entraîne pas les mêmes réticences que la notion de quotas qui fait des femmes un groupe vulnérable, inférieur. Elle a la force d’un slogan. En fait ‘l’opinion

Eliane Vogel-Polsky, explique ce qu’elle considère comme une paralysie de l’égalité entre les sexes, par une approche « erronée du droit à l’égalité, reposant(…) sur des présupposés implicites (..) qui traitent l’homme comme le comparant universel et la femme comme une catégorie spécifique ». L’approche de la parité » à la base « du nouveau contrat social du XXI° siècle » C’est une conception nouvelle de l’égalité, de l’équilibre entre les sexes » où le traitement différencié selon les sexes, ne serait plus une dérogation à un droit fondamental. (« Les législations d’égalité entre les hommes et les femmes : un inaboutissement programmé », Cahiers du MAGE, 3-4/95)

Cette remise en cause du modèle républicain universaliste, qui quelques temps auparavant était tout simplement impensable,

. G.F  Avec la revendication paritaire, on quitte la réclamation universaliste des droits La parité est une utopie qui en appelle à la loi pour se réaliser (p.323), même si, pour la plupart des militantes, l’objectif est de « construire un universel véritable » (à la place de celui, formel, qui se satisfait de l’exclusion de fait de la moitié du genre humain. (Cf F.Gaspard et C.Servan-Schreiber, « La parité condition nécessaire de l’universel », Projets féministes, op. cit. p.25.

un recul par rapport à la conception féministe, universaliste, de l’égalité des sexes, l’égalité entre les citoyens pour l’affirmation utopiste et révolutionnaire de l’équivalence des deux sexes

Avec les élections présidentielles de 1995 s’ouvre une période électorale favorable, ‘les femmes s’imposent dans le débat présidentiel. La place des femmes dans les assemblées élues est devenue un enjeu électoral. Chaque candidat, interpellé par des associations de femmes a dû prendre position.

 

(Gisèle Halimi « La révision constitutionnelle reconnaît et institutionnalise, pour la première fois, la dualité constitutive du peuple et l’égale souveraineté de ses deux moitiés« , « Parité, je n’écris pas ton nom… », Le Monde diplomatique, septembre 1999).

 

Le temps de la controverse C’est d’abord les féministes, d’accord sur le constat et sur son caractère inacceptable, qui s’opposent sur les moyens, leur utilité, leur légitimité. Mais c’est surtout la consécration légale de la dualité des sexes qui choque les féministes universalistes, autant qu’elle heurte le modèle républicain. Faut-il ‘revendiquer le partage du monde commun au titre d’individu humain égal aux autres ou au titre de membre d’une communauté minorisée ?’ demande Françoise Collin.[i]

La parité introduit l’idée que le peuple est sexué, que l’individu est d’abord homme ou femme et que cette altérité est incontournable, sinon naturelle. Aussi les féministes se divisent-elles elles à nouveau, avec une violence qui rappelle le vieux conflit dans lequel le MLF s’était fracassé.

La souveraineté, comme la République est un tout indivisible’. Mais conscient que l’état de choses existant est devenu inacceptable, il propose une alternative. Il est possible, soutient-il, d’imposer par la loi, ‘dès lors que la Constitution le prévoirait’ aux partis politiques de faire figurer sur les listes de candidats un nombre égal de femmes et d’hommes, et de susciter des candidatures de femmes pour les scrutins uninominaux. Ainsi l’objectif de la parité serait atteint sans qu’on touche au socle de la citoyenneté et à l’universalisme. Les tenants d’une citoyenneté une et indivisible semblent définitivement appartenir au passé face à la supposée modernité de la démocratie paritaire. *Selon Le Monde,* ‘Robert Badinter, s’est retrouvé isolé parmi les siens, l’arène politique ou la controverse médiatique, l’avantage des partisan-e-s de la parité était irrésistible. forger des Deux sexes, égaux et différents: la victoire du sens commun

L’idée l’a emporté qu’une société composée pour moitié de femmes devait être représentée par une Assemblée comprenant autant de femmes que d’hommes. Et que les femmes apporteraient à la politique des qualités et des valeurs qui lui font défaut. En effet, elles sont aisément créditées d’être ‘plus proches des gens’, plus consciencieuses, moins technocratiques.[ii] La rhétorique de la différence apportait de l’eau au moulin de la parité, en promettant une rénovation de la vie politique par l’apport des ‘qualités féminines’. Celles-ci sont très naturellement référées à la différence biologique: ‘[e]lles seraient forcément différentes puisqu’elles donnent la vie. De cette puissance génitrice découlerait tout le reste’.[iii] Il est difficile de résister à ces lieux communs, et à l’extrapolation du biologique au politique. D’ailleurs, les militantes de la parité, pour réfuter tout danger de dérive ‘communautariste’, argumentent que les femmes ne sont pas une catégorie, ni une communauté: ‘[e]lles sont l’un des deux genres dont s’est construite l’humanité’.[iv] Voici le ‘genre’ pris dans une métaphore biologique, tandis que le couple hétérosexuel est posé en modèle pour la parité. Ce n’est donc pas en tant qu’individu libre et égal que les femmes trouveraient leur place dans la vie politique, mais comme moitié d’un couple.

L’insistance sur la différence et la complémentarité entre les sexes est habituelle à droite, et on ne s’étonne pas de la trouver chez *des femmes ayant siégé dans des gouvernements de droite* comme Monique Pelletier ou Simone Veil. De même Dominique Voynet proclame ‘qu’hommes et femmes sont différents et que cette différence est un élément positif’.[v] Plus prudentes, les signataires (femmes politiques de droite et de gauche) du ‘Manifeste des dix pour la parité’, n’évoquent pas de différences entre les sexes, mais dénoncent un modèle politique, qui identifie celui-ci au masculin et renvoie les femmes dans l’ordre de la nature.

Le triomphe de la parité semble aller de pair avec une résurgence de l’idéologie de l’inné,[vi] un dépassement du féminisme beauvoirien on naît fille ou garçon, on devient femme ou homme’. La différence sexuelle est une donnée naturelle que les sociétés interprètent diversement’, écrit Sylviane Agacinski.[vii] Et elle donne à celle-ci un statut politique ‘[l]a figure humaine doit être celle d’un couple… La mixité a une valeur fondamentale, universelle, éthique autant que biologique’.[viii]

Cet étayage de la parité, note *la philosophe* Françoise Duroux ne peut manquer de faire consensus, ‘car il caresse l’opinion dans le sens du poil, hommes et femmes confondus, féministes exclues’.[ix] De fait la position féministe en faveur de l’égalité de tous les êtres humains, indépendamment de leur sexe, ne fait plus recette. Elle requière une pensée réflexive critique, une rupture avec le sens commun d’une différence perceptible et valorisée. Elle est considérée comme relevant d’un féminisme radical, donc marginal et dépassé.

Le mouvement féministe des années 1970 avait porté sur la politique et sur la définition traditionnelle de l’identité féminine un regard critique et novateur. La revendication de la parité, vingt ans plus tard, manifeste que l’utopie n’a plus cours. Elle demande le partage d’un pouvoir qu’elle n’espère plus changer, entre les hommes et les femmes, sans plus mettre en question ces catégories. C’est autour de cet objectif précis qu’a été construite la mobilisation en faveur de la parité, avec un admirable savoir-faire politique: structuration d’un groupe de pression et de réseaux d’influence, à travers les instances européennes et différents secteurs de la société, élaboration et défense d’un concept dans le débat intellectuel, stratégies d’alliances politiques, usage des occasions électorales et des concurrences politiques, utilisation des médias pour toucher l’opinion publique et construire un rapport de forces politique.

La réussite est le fruit d’une campagne savamment menée. Il faut cependant s’interroger sur la relative facilité avec laquelle la classe politique a accepté le partage de la souveraineté, sa division entre deux groupes de citoyens. Se serait-elle ralliée à une conception ‘moderne’ de la représentation des groupes, si étrangère au modèle ‘classique’, républicain, qui depuis si longtemps est son credo officiel, et qu’elle continue à revendiquer avec une grande vigueur dans d’autres domaines?[x]

En fait la parité apparaît plus comme une exception faite à la règle universaliste que comme un abandon de ce modèle. Il faut dire que l’exclusion des femmes constituait une sévère mise en cause de celui-ci. On aurait pu, comme le proposaient des féministes égalitaristes, faire de la mise à l’écart des femmes (et de bien d’autres groupes sociaux) un problème politique, mettre en cause le fonctionnement de la démocratie, des partis, de la culture guerrière de la politique en France. La réponse de la parité a évité de poser de telles questions. Comme elle a évité de mettre en question la division des sexes, permettant d’accepter l’égalité entre les sexes, pourvu que ce fut dans les termes d’une différence universelle.

La parité l’a emporté, au nom d’un universalisme enfin ‘concret’, l’universalisme d’une humanité faite de deux moitiés complémentaires. Joan Scott avait souligné cette contradiction du modèle républicain pris entre deux universalismes: universalisme affiché des droits de l’homme, universalisme non-dit de la différence des sexes.[xi] La parité permet de résorber le premier dans le second. Et d’aboutir, après plus de deux siècles de combats féministes, à un nouvel avatar de ‘l’égalité dans la différence’, cette idéologie proposée aux femmes dans les années 1960 et contre laquelle s’était révolté le mouvement féministe.

 

 

 

On peut considérer la parité comme une modalité de l’égalité, mais pas n’importe laquelle.

 

L’égalité entre les hommes et les femmes, cela peut signifier l’égalité entre individus

(homme ou femme), c’est la position égalitaire, universaliste ; cela peut aussi signifier l’égalité entre les hommes d’une part, les femmes d’autre part. Ce n’est pas si simple de choisir entre ces deux modalités, l’universalisme qui proclame l’égalité des êtres humains, mais masque et nie les inégalités concrètes ou la parité qui divise l’humanité (et la citoyenneté) entre deux catégories d’êtres humains et enferme chacun dans une spécificité. Plutôt que de choisir entre ces deux conceptions, je pense que cette contradiction  est inévitable pour le féminisme, qui est à la fois un combat au nom des femmes (donc comme groupe), et pour les faire advenir comme individu (égal aux autres).

Solution modifier art 3 qui porte sur la souveraineté nationale

L’exemple de la loi sur la parité. Progrès incontestable place des femmes dans la vie politique, mais Refusant d’entendre les réticences de nombre de féministes, de même que celles des républicains traditionnels. Partage de la citoyenneté entre deux catégories sexuelles et à l’institutionnalisation de la différence entre les sexes. Différence biologique admise dans le champ politique. Triomphe du sens commun d’une différence quasi ontologique entre hommes et femmes, Parité contre mixité, présence de femmes, à la place de prise en compte problèmes d’un point de vue féministe.

Egalité dont le résultat serait aussi de remplacer un universalisme dogmatique, qui masque et perpétue les inégalités entre les genres, par un autre symétrique. La division entre les sexes serait la condition de leur égalité et l’individu disparaîtrait.

 

Mais c’est surtout la consécration légale de la dualité des sexes qui choque les féministes universalistes, autant qu’elle heurte le modèle républicain. La parité introduit l’idée que le peuple est sexué, que l’individu est d’abord homme ou femme et que cette altérité est incontournable, sinon naturelle.. La rhétorique de la différence apportait de l’eau au moulin de la parité, en promettant une rénovation de la vie politique par l’apport des ‘qualités féminines’. Celles-ci sont très naturellement référées à la différence biologique:  elles seraient différentes parce qu’elles donnent la vie.

 

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Le 26 janvier, le Haut conseil à l’intégration (présidé par Blandine Kriegel, chargée de mission auprès du Président de la république -après avoir été conseillère de François Mitterrand) a remis son rapport annuel, il continue à rejeter ce qu’il nomme « discrimination positive ». Fournit le socle idéologique républicain qu’attendait le gouvernement (dans le cadre de la polémique Fillon-Sarkozy sur la discrimination positive). Bilan sévère de la politique d’intégration menée ces dernières années (tableau noir de l’intégration : population immigrée confrontée + que les autres à précarité sociale, professionnelle et civique ; ghettos, violences à l’égard des femmes, montée des replis intégristes), mais l’attribue à la politique du gouvernement précédent, à la lutte contre les discriminations de Martine Aubry (Groupe d’étude et de lutte contre les discriminations) y voit une « logique de culpabilité et de discrimination« . Le HCI refuse politique de « discrimination positive, ignorant la compétence particulière au profit des groupes » et niant les mérites individuels ». Cela me paraît une étrange méconnaissance des modalités européennes (à moins que ce ne soit une position purement idéologique, dans la volonté de défaire tout ce qu’a fait le gouvernement socialiste -avec les emplois-jeunes, les 35 heures…).

Pas de parité dans la sphère économique. Difficulté à trouver des équivalences, la différence des corps. Il faut penser ensemble la différence et la ressemblance entre les sexes au regard d’une = possible. « l’égalité politique est un principe, l’égalité économique est un résultat » (GF p. 279). transversal et non un thème catégoriel, ne doit pas être compris comme dissolution de l’objectif = des chances, mais sa mise en relief. Plan national pour l’emploi structuré doublement avec un axe spécifique pour l’= des sexes et une injonction à la tranversalité