Le mythe du 8 mars L’histoire d’une découverte

Conférence pour l’association « Femmes et communistes », 1999.

– La journée internationale des femmes, dans les années 70.

– Dans le mouvement féministe, Célébrée depuis 1969 aux EU, en France débats dans le mouvement des femmes, les « groupes femmes » lutte des classes, veulent fêter la JIF.  En 1972 un tract du Cercle Elisabeth Dimitriev évoque la JIF et les ouvrières de 1857. En 1975 le mouvement des femmes manifeste contre la « récupération » par l’ONU de la lutte des femmes. « Les hommes savent plus quoi faire pour nous remettre au pas, voilà qu’ils nous libèrent il nous manquait plus que ça, ils causent de nous dans les forums, ils nous préparent des p’tites réformes ». L’ONU, la CGT et le PCF et les groupes gauchistes (et leurs envoyées féminines) confondus « Cours petite sœur, les avant-gardes sont derrière toi ».

 

-Le consensus sur l’origine historique quelques citations :

Antoinette n°1, 8 mars 1964 « Ce sont les Américaines qui ont commencé. C’était le 8 mars 1857…elles réclamaient déjà la réduction du temps de travail, l’augmentation des salaires et leur égalité pour un travail égal, des crèches et le respect de leur dignité. Des années plus tard une voix s’élevait… Elle s’appelait Clara  « Chaque année disait-elle, le 8 mars, en souvenir de nos sœurs américaines… Et il en fut ainsi ». C’est la même histoire qu’on trouve dans Les Pétroleuses (journal des femmes de la LCR) « Une des premières grèves de femmes, opposant les ouvrières du textile à la police de NY qui charge, tire et tue« .

 

Première étape de cette recherche

Histoires d’Elles veut démarrer pour le 8 mars 77, commande à un petit groupe qui travaille sur l’histoire du féminisme un article sur l’Histoire du 8 mars. Nous  (Les 5 de la boite d’allumettes) sommes donc parties à la recherche de ces couturières, ou ouvrières du textile new-yorkaises de 1857. Plus nous nous en approchions, plus l’événement nous échappait : manifestation de femmes ou grève, répression sanglante ou accident meurtrier du travail, 1857, 1908 ou 1909. Ni les livres d’histoire de féminisme américain (qui parlent surtout de la lutte pour les droits civiques, mais citent aussi certaines grèves), ni les histoires du mouvement ouvrier américain (qui mentionnent bien des grèves de femmes) ne parlent d’une grève ou manifestation le 8 mars 1857. Rien non plus dans les journaux de l’époque, le 8 mars 1857 était un dimanche.  Nous avons bien trouvé la résolution de la Conférence Internationale des femmes socialistes de Copenhague en 1910, adoptant, selon la proposition de Clara Zetkin « En accord avec les organisations politiques et syndicales du prolétariat dotées de la conscience de classe, les femmes socialistes de tous les pays organisent tous les ans une « journée des femmes » qui servira en premier lieu la lutte pour le droit de vote des femmes. La revendication doit être éclairée conformément à la conception socialiste d’ensemble de la question des femmes » (texte de la résolution).

Si l’événement fondateur nous échappait, sa signification nous apparaissait assez clairement.  Il s’agissait de promouvoir une certaine version de la lutte des femmes : « la lutte des ouvrières pour leurs conditions de travail », (C’est à dire une version féminine de la lutte des classes. D’autres aspects de la lutte des femmes, que nous avions pu observer dans l’histoire de cette époque en étaient exclus notamment le combat féministe, c’est à dire la lutte des femmes (de différents milieux sociaux) pour la conquête de leurs droits, ou pire encore le combat des femmes pour imposer leur droit au travail, y compris contre les ouvriers). Cette préférence pour une lutte de femmes inscrite dans la lutte des classes correspondait bien au point de vue des femmes socialistes réunies dans cette Conférence, comme Anna Touroff, déléguée des Socialist Women of Greater New York qui disait : « Nous savons que notre place est dans la lutte des classes et non dans la lutte des sexes ».  L’objectif de Clara Zetkin en proposant cette journée des femmes était d’obtenir des instances dirigeantes de leur parti, peu préoccupées des problèmes féminins, la prise en compte des revendications des femmes, afin de contrecarrer l’influence des groupes féministes « bourgeois ».  Pour éclairer la revendication du droit de vote « conformément à la conception socialiste d’ensemble » il fallait faire la démonstration « que la social-démocratie est le seul parti pour qui l’égalité des femmes n’est pas seulement verbale« .

 

Quoiqu’il en soit, la décision de la Conférence internationale semble avoir été suivie d’effet, notamment en Allemagne où dès 1911 de très nombreuses manifestations eurent lieu et surtout en Russie où une manifestation de femmes le 8 mars 1917 (26 février du calendrier grégorien) serait au commencement de la révolution de février (L.Trotsky, Histoire de la Révolution russe).

 

 Deuxième étape de cette recherche : 1982, le gouvernement socialiste veut faire de la JIF une date fériée (à l’initiative de Psychépo). Les problèmes que nous avons soulevé en 1977 n’ont eu aucun écho, toute la presse, que ce soit la presse militante de la CGT, de l’UFF (Antoinette, Heures claires), celle des groupes femmes (Les Pétroleuses, Des femmes en mouvement, Mignones allons voir sous la rose) ou la grande presse qui reproduit (Le Matin, France-Soir, Le quotidien), racontent la même histoire. Nous (Liliane Kandel et moi) approfondissons la recherche sur l’origine par le dépouillement du journal de Clara Zetkin Die Gleichheight., par la lecture des Comptes-rendus de la Conférence de Copenhague etc

La découverte : Le Congrès de Copenhague n’a jamais parlé des couturières, ni de la date du 8 mars, Clara Zetkin avait proposé de fixer cette célébration « au moment des fêtes annuelles de mai ».

Les Américaines qui ont été évoquées à Copenhague ne sont pas des ouvrières du siècle dernier mais les femmes socialistes qui avaient les premières en 1909 eu l’idée d’une journée des femmes.

Mais alors Où, quand et pourquoi les couturières New-Yorkaises ont elles été inventées ?

Nous les avons cherchées dans l’Humanité chaque mois de mars et c’est en 1955 que nous les avons vues apparaître.  La JIF y lit-on continue « la tradition de lutte des ouvrières de l’habillement de New-York qui, en 1857, le 8 mars, manifestèrent pour la suppression des mauvaises conditions de travail, la journée de 10 heures, la reconnaissance de l’égalité du travail des femmes. Cette manifestation (…) produisit une grande impression et fut recommencée en 1909, toujours par les femmes de New-York. En 1910 Clara Zetkin proposa de faire définitivement du 8 mars la journée internationale des femmes ». A partir de là la légende ne fait que croître et embellir. D’année en année, de journaux en journaux, c’est salaires la même histoire qui est racontée, étoffée, illustrée comme un conte de fées : « Il était une fois à New-York en 1857, des ouvrières de l’habillement. Elles travaillaient dix heures par jour, dans des conditions effroyables, pour des salaires de misère. De leur colère, de leur misère naquit une manifestation «  l’Huma Dimanche, 1° mars 55).

Il semble bien que le mythe d’origine corresponde à un besoin ; c’est pourquoi Yvette Roudy, bien que dûment informée de l’origine mythique du 8 mars, a choisi de reprendre à son compte la tradition de la journée des femmes. En effet elle poursuit le même objectif que Clara Zetkin : inscrire la lutte des femmes dans le combat socialiste, et récupérer une tradition de lutte qui avait plutôt été développée dans le mouvement communiste. De ce point de vue la vérité historique est accessoire « La date du 8 mars a-t-elle été formellement adoptée au Congrès de Copenhague ? cette date correspond-elle à l’anniversaire d’une grève des ouvrières de l’habillement de New-York quelques années auparavant ? Les historiens en débattent. Il est apparu au nouveau gouvernement de la France qu’il convenait de marquer le changement en renouant avec la tradition de lutte que la création du Ministère des droits de la femme a rendu plus actuelle que jamais ».

 

Du point de vue des femmes, la célébration officielle d’une journée des femmes s’est révélée utile. Occasion pour le gouvernement d’annoncer des mesures destinées aux femmes, occasion dans la presse de faire le point sur la situation des femmes et de mettre au jour des réalités généralement occultées. Même si cette occasion, souvent unique dans l’année donne bonne conscience et permet l’indifférence du reste de l’année.

 

Mais je voudrais revenir à la tradition de la Journée Internationale des femmes et au mythe d’origine, dont on sait maintenant qu’il a été inventé en deux fois, pour essayer de comprendre à quoi ils correspondent en les replaçant dans le contexte de ces deux moments historiques.

D’abord 1910, Clara Zetkin et la Conférence de Copenhague. Cette conférence des femmes socialistes eut lieu en parallèle de celle de la Deuxième internationale.  Le mythe d’origine, dont on sait maintenant qu’il n’avait pas été évoqué là, aurait pu être choisi ou inventé à ce moment ; il était en conformité avec l’objet de la Conférence : dire que la lutte des femmes fait partie de la lutte des classes. Le sentiment que nous avions eu dès la première étape de la recherche qu’il s’agissait d’un choix qui en excluait d’autres et se démarquait du féminisme de l’époque s’est trouvé tout à fait vérifié. La conférence de Copenhague a en effet pris deux décisions : décision de célébrer chaque année une journée internationale des femmes, où la revendication du droit de vote serait « éclairée conformément à la conception socialiste d’ensemble de la question des femmes » et décision de créer dans tous les pays des groupes de femmes socialistes refusant toute alliance avec les féministes dites bourgeoises.  La tradition de la journée internationale des femmes était bien au départ un choix sectaire, antiféministe ; qui disait qu’on ne peut être à la fois féministe et socialiste ; que le féminisme est bourgeois, de même que celles des féministes socialistes qui voulaient lutter en commun avec d’autres féministes.

Il y a en effet à cette époque une opposition violente parmi les femmes socialistes entre celles qui, comme Clara Zetkin, refusent toute alliance avec les féministes « bourgeoises » et celles pour qui combat féministe et combat socialiste ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Madeleine Pelletier avait défendu ce point de vue contre Clara Zetkin à la Conférence des femmes socialistes de Stuttgart en 1907 ; elle n’est pas allée à Copenhague mais Caroline Kauffman qui lui a succédé à la direction du groupe de la Solidarité des femmes y a été choquée par l’antiféminisme de la Conférence et « l’intolérance des femmes socialistes. ». A la suite de cette Conférence, des Groupes de femmes socialistes ont donc été créés sur cette ligne politique là. En France par Louise Saumoneau. Madeleine Pelletier écrivait à Hélène Brion « Je crains que le GDFS ne soit que la petite classe du parti socialiste et qu’on y laisse de côté le féminisme pour complaire aux hommes du parti (…), l’organisation des femmes dans le parti socialiste ne peut avoir de raison d’être que si elle est féministe ; tout au moins suffragiste » (cité par Ch. Sowerwine, Les femmes et le socialisme). Le GDFS n’a même pas été « la petite classe du parti socialiste » ; pour le protéger du féminisme, Louise Saumoneau fit voter des statuts tels qu’une femme ne pouvait y adhérer sans être déjà membre du parti. Le GDFS ne cherchait pas à attirer les femmes vers le parti, ou à revendiquer les droits des femmes ; il ne cherchait pas à représenter les femmes dans le parti. Lors de l’Affaire Couriau, il refusa de prendre position pour le droit au travail des femmes « afin de rester un groupement de classe et de rassurer les camarades hommes » (je rappelle Emma Couriau , typote payée au tarif syndical, exclue du Syndicat du livre de Lyon parce qu’il n’admet pas les femmes, ainsi que son mari Louis, coupable d’avoir laissé sa femme exercer le métier. L’affaire Couriau a été l’occasion d’un grand débat dans le mouvement syndical, amorçant une évolution des positions par rapport au travail et à la syndicalisation des femmes). La seule action du GDFS avant la guerre de 14 consista dans l’organisation d’un meeting le 9 mars 1914 pour la journée internationale. Et surtout à mener en son sein la lutte contre les féministes (Marie Bonnevial, Hélène Brion, Marguerite Martin, Maria Vérone… et les conciliatrices).

Voilà donc la signification de la Conférence de Copenhague et de ses choix : faire apparaître un mouvement de femmes socialistes, distinct et opposé au mouvement féministe, tracer entre les femmes une infranchissable ligne de classe, ligne de marquage et de démarcation . « Marx, disait Clara Zetkin, a forgé le glaive qui a tranché les attaches entre mouvement féminin prolétarien et bourgeois » (Batailles pour les femmes, ouvrage publié sous la responsabilité de Gilbert Badia, éd. sociales, 1980, p.94) Dans une telle conception, il ne peut y avoir d’intérêts communs ni de lutte commune entre les femmes, par dessus la ligne de classe et il ne peut y avoir de contradictions entre les hommes et les femmes de la classe ouvrière. C’est l’antiféminisme qui unit les femmes socialistes.

 

Le deuxième moment à comprendre, le milieu des années 50, en France. En France, jusqu’à preuve du contraire, c’est à partir de France que s’est répandue la légende des couturières new-yorkaises (Cf Gail Lerner, « Why do we commemorate March 8th, c’est en France, à la fin des années 60 qu’elle en a entendu parler). Et de l’intérieur du mouvement communiste.

On assiste donc à un changement du mythe d’origine. La Journée internationale des femmes apparaissait comme une célébration communiste, très liée à l’URSS et au mouvement communiste international.  C’est que la manifestation des ouvrières de St Petersbourg lui confère une réalité historique très souvent rappelée. On parle de « Journée communiste internationale des femmes  » (Correspondance internationale n°18, 1932), ou « Le 8 mars, la femme d’URSS commémore son émancipation », Maxime Gorki, Regards, n°15, mars 33). Le point de départ est clairement fixé à 1910 ; en 1935 on parle de la « 25° journée Internationale des femmes » (N.Kroupskaïa Correspondance internationale, n°22-23), en 1960 de « 50° anniversaire de la Journée Internationale des femmes » et de « Cinquante ans qui comptent » (Picard-Weyl, France Nouvelle, n°750, 3 mars). Entre les deux guerres, elle est l’objet d’âpres disputes entre la Troisième et la Deuxième internationale (en France entre le PCF et la SFIO) qui ne la célèbrent pas à la même date. Après la deuxième guerre elle fait partie des commémorations officielles des pays socialistes, dans un style qui rappelle quelque peu la Fête des mères ici : cadeaux, bouquets poèmes, la journée des femmes n’est plus une tradition de lutte mais bien la journée annuelle de la bonne conscience à l’égard des femmes.

 

A quoi donc peut correspondre le changement de 1955 ? Pourquoi a-t-il fallu  détacher la JIF de son histoire soviétique pour lui donner une origine plus internationale, plus ancienne que le bolchévisme, plus spontanée que la décision d’un Congrès ou l’initiative de femmes affiliées à des partis ? Pourquoi la date de 1857 a-t-elle été choisie ? en hommage à Clara Zetkin, née cette année là ?

Qu’est-ce que je sais de nouveau sur cette invention. Sûr que c’est 1955. Avant cette date, il n’est jamais question des couturières. Dans les Cahiers de l’UFF, dans France nouvelle, la JIF est évoquée chaque année, par des articles signés Claudine Chomat ,  Marie-Claude Vaillant Couturier, Julie Dewintre, toutes membres du Comité central,. Elles n’évoquent jamais un événement qu’on commémorerait ; mais en 1950 Claudine Chomat, fait remonter la tradition à 1908 et au Congrès du parti socialiste américain ». La même année Victor Michaud dans l’Humanité rappelle aussi cette origine américaine pour démontrer que « cette tradition n’est pas une diabolique invention soviétique » (L’Humanité, 4/3/50). Mais l’une comme l’autre insistent ensuite sur la décision du « mouvement ouvrier international » (Lénine et les bolchéviks) et l’histoire soviétique « cette initiative ne devait revêtir toute son ampleur et son véritable contenu de lutte à caractère international qu’avec la victoire de la Révolution socialiste en URSS ».

 

C’est dans France nouvelle du 26 février 1955 (donc quelques jours avant l’Huma et Cl. Chomat), sous la signature d’Yvonne Dumont qui annonce « On se souvient que l’origine de cette journée remonte au 8 mars 1857, où à New-York, pour la première fois, des femmes travailleuses, des ouvrières de l’habillement manifestèrent pour leurs revendications. C’est en 1910, à la Conférence de Copenhague, que, sur la proposition de Clara Zetkin, cette date fut retenue comme celle de la Journée internationale des femmes ». De l’histoire de la JIF, elle retient « le 8 mars 1914, des femmes défilant dans les rues de Paris réclamant la libération de Rosa Luxembourg » (en réalité un meeting mise sous l’égide de « l’amitié des femmes françaises et allemandes, présidé par Louise Saumoneau où des dirigeants socialistes prennent la parole et où Clara Zetkin envoie un message de soutien. Ch. Sowerwine, p.164-164). Curieusement l’histoire russe de la JIF n’est pas évoquée (bien que Staline soit cité pour son opposition à la course aux armements).

En 1956, c’est Madeleine Vincent (membre du CC) qui fait le papier « La Journée internationale des femmes et l’activité du parti parmi les femmes. 11 février. Elle reprend la légende américaine, bien qu’elle le place à Chicago « Il y aura bientôt un siècle que la première manifestation de femmes pour leurs revendications eut lieu à Chicago. Cinquante ans plus tard CZ proposait de faire du 8 mars la JIF » .

La version la plus détaillée est celle de Madeleine Colin dans Les Cahiers du communisme, n°1 de 1960. Il s’agit de montrer que « La journée internationale des femmes, célébrée aujourd’hui par un nombre toujours plus grand de travailleuses, de ménagères, de mères et de jeunes filles de toutes les nations et de toutes les races plonge ses racines au plus profond du mouvement ouvrier international ».  « Cette date du 8 mars proposée par Clara Zetkin, souvenir d’une journée restée vivace dans les mémoires ouvrières, était le symbole de la lutte des travailleuses, qui nouvellement venues tentaient (…) de faire leur place dans le mouvement ouvrier » (suit une longue description des conditions de travail de ces couturières qui « travaillaient seize heures par jour dans des pièces étroites souvent sans fenêtre« , des sous-entrepreneurs qui pratiquaient le « sweeting system », des salaires de « 4 dollars par semaine ». Selon ce récit les ouvriers de Philadelphie après trois semaines de grève avaient acquis la journée de dix heures en 1835 et la « National Trade Union l’avait obtenue pour les employés du gouvernement fédéral. « C’est pourquoi, le 8 mars 1857, un long cortège de femmes « misérablement vêtues » envahit les rues de New-York pour réclamer elles aussi « la journée de dix heures, des pièces claires et saines pour le travail, des salaires égaux à ceux des tailleurs ». La police chargea la manifestation quand elle pénétra dans les beaux quartiers de la ville. Mais les ouvrières américaines avaient marqué devant le monde leur existence et leur volonté de conquérir leur place dans la vie« .  Madeleine Colin continue ensuite l’histoire de la participation des femmes aux luttes ouvrières, notamment en France (avec la grève des ovalistes, la révolte des canuts, la révolution de juillet 1830, les barricades de février 1848 ; elle évoque Flora Tristan et Pauline Rolland). Elle revient sur l’histoire de la JIF à travers le monde, avec les femmes de Pétrograd, descendues dans la rue « à l’appel du Comité bolchévik de Pétrograd ». Que veut-elle démontrer ? que « La journée internationale des femmes se liait chaque année plus intimement aux revendications des travailleuses, à leur lutte pour la conquête de leurs droits« , que la Journée internationale des femmes est « Partie de la lutte des ouvrières pour leur pain, leur droit à la vie, contre l’injustice et l’exploitation capitaliste« .

Dans son livre de souvenirs Traces d’une vie, (1991) Madeleine Colin se donne un rôle essentiel dans le changement de 1955. Elle ne dit pas avoir inventé le mythe d’origine, mais elle s’en sert et donne une explication inattendue. Il s’agirait d’une « bataille pour que la CGT s’affranchisse de la prédominance de l’UFF et du parti, pour qu’elle ait ses propres mots d’ordre et ses propres formes d’action ». Dans cette optique les ouvrières new-yorkaises sont une légitimation : « Cela me paraissait d’autant plus légitime que la date du 8 mars avait été choisie par Clara Zetkin en commémoration d’une grande grève menée par les ouvrières de l’habillement de New-York en 1857 pour des salaires égaux à ceux des hommes et pour la réduction de la journée de travail ».  La fonction des couturières serait donc de mettre en avant une lutte de femmes dans la lutte des classes, contre une conception par trop traditionaliste des femmes qui était celle de l’UFF. Celle-ci « organisation féminine, née de la Résistance groupait un grand nombre de femmes, essentiellement des ménagères et quelques intellectuelles ; elle était dirigée par des communistes. La c.g.t n’était conviée à la célébration de cette journée que pour soutenir des mots d’ordre déjà établis et pour faire participer des travailleuses aux manifestations décidées« . Elle dit : « J’ai mené bataille pour que la c.g.t s’affranchisse de cette prédominance de l’u.f.f et du parti ». La CGT d’un côté, l’UFF et le parti d’un autre. Il faut avouer que de l’extérieur nous n’avions pas imaginé que l’explication pouvait être là. Elle dit d’ailleurs avoir eu dans ce combat « le soutien total de Benoît Frachon…contre J.Vermeerch, dirigeante de l’UFF et membre du bureau politique du parti ». Donc assez précisément c’est Jeannette Vermeersch qui est visée. Madeleine Colin ajoute qu’elle était en désaccord profond avec celle-ci à propos de la contraception et de l’avortement. On se souvient de la fameuse campagne communiste contre « le néo-malthusianisme » et Jacques Derogy, et notamment du discours de Jeannette Vermersch  « Mais depuis quand les femmes prolétaires luttent pour les mêmes droits que les dames de la bourgeoisie ? Jamais… Depuis quand les femmes travailleuses réclameraient le droit d’accéder aux vices de la bourgeoisie ? Jamais ».  Mais le rapprochement que fait Madeleine Colin pose un problème de chronologie puisque c’est en 1955 que les couturières ont été inventées et seulement en 56 (sans doute pour diriger l’attention sur autre chose que le rapport Krouchtchev que la campagne anti-Derogy est lancée (dans le PCF, mais pas à l’UFF, où il ne faudrait pas choquer ).

Des interrogations demeurent sur le détail de la fabrication du mythe (comment la décision a-t-elle été prise ? qui était dans le secret ? Claudine Chomat ?  Madeleine Colin ? Madeleine Vincent ? dans quelle lutte de tendances ?) on ne peut que s’étonner de la force qu’il a eu immédiatement ; il a fait le tour de la planète de façon incroyable, il a été servi à toutes les sauces selon les objectifs poursuivis. Il est revenu en Amérique, retour de France, mais aussi du Viet-Nam, repris par les féministes américaines des années 70, ravies de faire revivre un passé de luttes, et de mettre l’Amérique à l’avant-garde des luttes.

En fait ce mythe dépasse très largement la volonté de celles qui l’ont inventé. S’il a pris de cette façon, c’est qu’il remplit une fonction. On a beau démontrer et prouver de façon irréfutable que l’événement fondateur est mythique, il ressurgit sans cesse.

 

Après notre recherche et la relative publicité que lui a donné Florence Montreynaud, les couturières New Yorkaises semblaient avoir disparu. Elles ne sont nulle part évoquées en 1983, même l’Humanité, qui donne la parole à Claudine Chomat (qui avait signé le premier article dans l’Huma de 1955) n’en parle pas.  Pourtant les revoici en 1986 « l’idée de la révolutionnaire allemande Clara Zetkin de faire du 8 mars (c’était en 1910, en hommage à la révolte des ouvrières de l’habillement de New-york le 8 mars 1857), « une « journée universelle féminine de lutte pour les droits des femmes » (Martine Faucher, l’Humanité, 8 mars 86).

En 1991 dans Le Monde « En s’institutionnalisant, le 8 mars a perdu de sa substance. Cette date qui rappelle l’affrontement des ouvrières du textile contre la police de New-York en1857 pour faire reconnaître leurs droits » (Ch. Chombeau, Une journée comme les autres pour les femmes, 10-11/3/91).

En 1992 la même Christiane Chombeau ajoute une nouvelle origine, sans que l’autre ne disparaisse « Cette journée a été officiellement adoptée par les Nations Unies en 1977, mais sa conception remonte au début du vingtième siècle. L’initiative en revient à l’Internationale des femmes socialistes qui en août 1910 proclama pour la première fois à Copenhague… Le 8 mars est la date de la grève des ouvrières du textile, qui en 1857, mit aux prises les femmes et la police de New-York » (10/3/92).

Sur l’origine onusienne, c’est une autre histoire que je ne peux pas développer aujourd’hui.

Je suis à une 3° étape de cette recherche. Dans les années 90 les relations entre féminisme et communisme ont changé ; c’est un aspect important de « la mutation » du PCF ; on s’est retrouvé dans la manif de 95 pour les droits des femmes, dans l’organisation des Assises nationales des droits des femmes, dans le Collectif des droits des femmes. Pour le 8 mars 1996 : « humanisme, communisme et féminisme doivent être indissociables » (L’Huma, 8 mars 96), et puis il y cette association « Femmes et communistes, Jalons pour une histoire », et la mise en commun de nos interrogations. C’est dans ce cadre là que j’ai repris le fil de cette recherche pour y apporter quelques éléments nouveaux et surtout pour pouvoir échanger dans une confrontation avec celles qui s’inscrivent dans cette tradition.

 

Post Scriptum

En1994, Ch Chambeau, a appris de Florence Montreynaud que « contrairement à une idée fortement répandue, ce n’est pas « à un mouvement de grève des femmes aux Etats-Unis à la fin du siècle dernier que cette journée fait référence, mais, tout simplement à une initiative des femmes socialistes » ; elle évoque la Conférence de Copenhague et l’idée reprise par Lénine en 1921 « qui souhaitait commémorer un soulèvement d’ouvrières le 8 mars 1917 à St Petersbourg« . Mais elle ajoute à nouveau « Depuis 1977, les Nations Unies ont officialisé le 8 mars journée Internationale des femmes« . Cette origine onusienne est répétée’ en 98 « A chaque 8 mars, date choisie par l’ONU pour célébrer la JIF, les responsables politiques, les syndicats, les associations de défense des droits de l’homme, les médias redécouvrent la question des femmes »

Se pourrait-il  que l’ONU, au moment même où nous mettions au jour le caractère mythique de l’origine ait repris à leur compte la tradition communiste et l’ait honorée par une décision solennelle ? et que nous n’en ayons pas entendu parler ?

C’est ce que nous sommes allées vérifier sur le site Internet de l’ONU. Nous y avons trouvé une chronologie de International Women’s Day, depuis 1909 (28 février, la Journée des femmes américaines), 1910, la Conférence de Copenhague, adoption du principe, pas de jour fixé), 1911 première célébration le 19 mars, suivie une semaine plus tard de l’incendie tragique du triangle où 140 ouvrières ont trouvé la mort.  1913-14 et 17 célébration par les femmes russes (dimanche 23 février calendrier julien, 8 mars selon calendrier grégorien ; 4 jours plus tard le tsar abdiquait et le gouvernement provisoire donnait le droit de vote aux femmes). Quant au rôle des NU  ce document dit seulement que cette « date (occasion marquée par les groupes de femmes dans le monde) est aussi commémorée aux Nations Unies » ;  l’action des NU en faveur des femmes est rappelée : (Charte des NU San Francisco 1945, stratégies, programmes, objectifs pour  améliorer le statut des femmes dans le monde. (4/7/98).

En revanche cette origine onusienne est évoquée, et de façon précise, sur d’autres sites qu’il est plus difficile d’identifier (sans doute canadiens, cite comme référence le Conseil du Statut de la femme) « En 1977 l’ONU a invité tous ses membres à désigner une journée comme étant la journée internationale des femmes, et dans la plupart des pays on a choisi le 8 mars » (et même dans un document daté de 1997 « lors de son Assemblée générale du 16 décembre 1977″, ). Cela est bien peu crédible, puisque ce n’est qu’en 1992 qu’il y est fait référence, et que notamment cela n’a pas du tout été évoqué par Yvette Roudy à l’appui de la décision de 1982 de célébrer officiellement le 8 mars en France. Dans le même document Journée mondiale de la Femme « le Conseil du Statut de la Femme situe les origines historiques de cette journée aux Etats-Unis : en 1857 et en 1908, les chemisières new-yorkaises représentent 80% des effectifs d’ouvriers grévistes… » UNESCOPRESS/N°97-32-2  ne craint pas d’amalgamer les deux origines mythique et de substituer l’ONU à Clara Zetkin dans l’initiative : « Commémorée pour la première fois en 1910, la Journée internationale de la femme a été officiellement proclamée par les Nations Unies en 1975. Sa date correspond à une grève des travailleuses de l’industrie textile de New York qui, le 8 mars 1857, ont cessé le travail pour protester contre leurs salaires de misère et leurs déplorables conditions de travail ».  Le glissement est évident : 1975 année internationale de la femme pour l’ONU ; de même que la récupération de la légitimité historique.