Article publié dans La Croix, le 8 mars 2002.
En ce début de XXI° siècle, la position des femmes dans le monde apparaît singulièrement contrastée. L’image des femmes afghanes, dans leur prison de toile, a fini par devenir le symbole d’un régime barbare, qui n’a pourtant été combattu qu’en raison de ses liens avec le terrorisme international. Avec la chute des Talibans, elles ont sans doute recouvré quelques droits parmi les plus élémentaires, mais sont bien loin de se voir reconnaître un statut d’individu, pour ne pas parler d’une impensable égalité. De l’autre côté, dans les pays développés, l’égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans les constitutions et les lois. La liberté des femmes se donne à voir comme le signe le plus éclatant de la modernité. Et on ne voit pas de quoi elles pourraient se plaindre encore. On peut admettre que pour en arriver là, certaines luttes aient été utiles, et même pardonner quelques excès. Mais le féminisme, ayant atteint son objectif, n’a plus lieu d’être.
Ce n’est pas la première fois que la légitimité du féminisme est reconnue a posteriori pour mieux être déniée pour l’avenir. Le féminisme est toujours ressenti comme quelque peu excessif, parce qu’il dénonce comme injuste un partage entre hommes et femmes qui est considéré comme essentiel à l’ordre social, à l’harmonie familiale. Parce qu’il fait sortir les femmes de leurs rôles traditionnels, de l’image idéale de la « féminité ».
Le féminisme s’est d’abord mobilisé pour l’égalité des droits : droits civils, droits politiques, droit à l’instruction et au travail. Il a conquis cette égalité de principe, au cours d’un long combat, à des dates variables selon les pays. Puis il a connu une période de régression ; comme si les droits acquis devaient se payer d’un retour en arrière sur un autre plan. En France la Libération a proclamé l’égalité entre les hommes et les femmes « dans tous les domaines » et celles-ci « électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ». Enfin ! mais le féminisme qui n’était plus que l’ombre de lui même n’a pas été crédité de cette victoire tardive, octroyée par les vainqueurs. Les femmes devaient être satisfaites et rentrer à la maison. Comblées comme mères et ménagères, elles se laissaient mettre à l’écart en silence de la vie politique et du monde du travail. Electrices, mais guère éligibles ; égales en droit mais consacrées à leur famille, assignées à des rôles.
Il a fallu ne pas craindre d’être excessive pour remettre en question ce bel équilibre de l' »égalité dans la différence ». Pour oser affirmer qu’une femme ce n’est pas toujours, pas seulement, pas obligatoirement une mère, une épouse, une ménagère. Pour revendiquer comme un droit imprescriptible la libre disposition de son corps. Dans la foulée de Mai 68, le féminisme adoptait volontiers le style spectaculaire et provocateur qui faisait le succès de ce mouvement. Le succès fut rapide cette fois. La plupart des pays occidentaux ont dû prendre en compte les problèmes soulevés par le féminisme : avortement, contraception, viol, violences conjugales…Les femmes ont conquis une nouvelle dignité comme individu, une nouvelle place dans la société qui leur propose de « concilier » vie professionnelle et vie familiale. Ce nouvel équilibre ne devrait plus être contesté, et le féminisme est devenu « ringard ». Il est malvenu de diriger le projecteur sur ce qui contredit l’égalité de principe ou de parler des problèmes des femmes en dehors du 8 mars.
Et pourtant le féminisme se réveille. De la Conférence mondiale des femmes de Pékin, 1995, à la marche mondiale des femmes de l’an 2000, il affirme sa dimension internationale, dénonce la féminisation de la pauvreté, les violences contre les femmes. Il prends appui sur ses acquis, mais ne s’en satisfait pas. Il affirme toujours, avec la plus grande vigueur que c’est aux femmes de décider de leur maternité, mais en plus il refuse qu’elles en soient pénalisées dans leur vie sociale. Il remet en question le partage entre vie professionnelle et vie familiale, pour les hommes comme pour les femmes.